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Congo Actualité n. 278

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SOMMAIRE

ÉDITORIAL: À LA POURSUITE DES TUEURS DE BENI

  1. LES ADF SERVENT-ILS DE BOUCS EMISSAIRES?
  2. L’ENLÈVEMENT DES TROIS PÈRES ASSOMPTIONNISTES EN OCTOBRE 2012
  3. L’ASSASSINAT DU P. ASSOMPTIONNISTE VINCENT MACHOZI EN MARS 2016
  4. MASSACRES ET ENLEVEMENTS: UN DRAME QUI PERDURE

ÉDITORIAL: À LA POURSUITE DES TUEURS DE BENI

 

1. LES ADF SERVENT-ILS DE BOUCS EMISSAIRES?

Au cours des 18 derniers mois, les attaques contre les civils ont fait plus de 500 victimes dans la région de Beni, dans l’est de la République démocratique du Congo (RDC). Les autorités congolaises accusent les Forces Démocratiques Alliées (ADF), un groupe rebelle islamiste entretenant des liens avec l’Ouganda, d’avoir commis ces massacres. Or cela n’est pas si simple: des éléments de preuve suggèrent en effet l’implication de certains éléments de l’armée congolaise et des liens potentiels avec des réseaux de contrebande. S’il ne fait aucun doute que les ADF sont responsables d’un certain nombre de meurtres, de viols et de recrutement d’enfants, un rapport publié récemment par le Groupe d’étude sur le Congo a remis en cause cette version officielle.

Fausses accusations

Les leaders politiques locaux décrivent l’organisation rebelle comme une «milice islamiste» et mettent l’accent sur les liens qu’elle entretient avec les réseaux extrémistes de la région, notamment avec Al-Shabab en Somalie et au Kenya. «Ce qui se passe à Beni aujourd’hui n’est pas différent de ce que l’on voit au Nigéria – où vous avez Boko Haram», a dit Jules Kasereka, le maire de Beni.

Certains leaders de la société civile et groupes de défense des droits de l’homme croient toutefois que les autorités exagèrent délibérément le rôle des ADF dans les attaques commises contre les civils. «Il est très difficile d’affirmer que les ADF sont responsables d’une attaque en particulier», a dit Michel Musafiri, chercheur auprès d’un groupe de défense des droits de l’homme dans la région de Beni. «Jusqu’à présent, seuls quelques rares attaquants ont été identifiés. Lorsque les autorités ont affirmé que les combattants étaient des membres des ADF, il est souvent apparu par la suite que ce n’était pas le cas», a-t-il ajouté.

Qui est responsable?

La fréquence des violences – qui se sont produites sur un vaste territoire – et le fait que certains des attaquants parlaient le kinyarwanda – une langue qui n’est généralement pas parlée dans cette région de la RDC – laissent supposer que de multiples groupes armés originaires d’une vaste région géographique sont impliqués.

«Les ADF ne sont pas réellement ce que les gens croient qu’ils sont», a dit Jason Stearns, le principal auteur du rapport. «Ce n’est pas une organisation islamiste étrangère, mais une milice profondément enracinée dans la société locale qui entretient des liens avec des acteurs politiques et économiques. S’il est vrai que les ADF sont responsables de la majeure partie des massacres, il est clair que d’autres groupes, comme des soldats congolais, sont également impliqués».

«En plus des commandants qui appartiennent strictement aux ADF, certains membres des Forces armées de la République démocratique du Congo (FARDC), des anciens [rebelles] du Rassemblement congolais pour la démocratie—Kisangani/Mouvement de libération (RCD–K/ML), ainsi que des membres des milices communautaires sont aussi intervenus dans les attaques contre la population civile», conclut le rapport.

Certains officiers ont dit qu’on leur avait offert jusqu’à 250 dollars pour chaque personne tuée, mais ils n’ont pas voulu révéler de noms. Dans certains cas, les soldats des FARDC sont arrivés dans les villages un ou deux jours avant le début des massacres.

«Les soldats étaient là pour protéger le village. Au lieu de quoi ils ont attaqué la population», a dit Modeste Makuta, un chauffeur de taxi de 27 ans de Tenambo, un village situé en périphérie d’Oicha, où plusieurs attaques ont eu lieu. Il a ajouté que «les agresseurs portaient l’uniforme de l’armée congolaise et j’ai reconnu leur commandant, un colonel appelé Byamungu. Nous n’avons jamais eu de problèmes avec les ADF et ils n’ont jamais attaqué le village».

Les soldats de maintien de la paix et les FARDC ne sont pas intervenus, même lorsque les massacres étaient perpétrés à proximité d’où ils étaient stationnés. On raconte même que, dans certains cas, les commandants des FARDC auraient ordonné à leurs hommes de ne pas intervenir.

Culture d’impunité

«Les autorités ont concentré tous leurs efforts sur la lutte contre les ADF sans chercher à identifier formellement les auteurs des attaques et [s’assurer] qu’ils [sont] traduits en justice», a dit Michel Musafiri. Les autorités ont arrêté un certain nombre d’individus apparemment associés aux ADF, mais aucun d’entre eux n’a été jugé ou condamné. Les groupes de défense des droits de l’homme soupçonnent dès lors l’existence d’une complicité au plus haut niveau.

Quelles sont les causes des violences?

Les ADF sont basées en RDC depuis plus de deux décennies. Le groupe rebelle a forgé des liens solides avec des personnalités politiques et économiques locales et a exploité les réseaux de contrebande existants, principalement celui du bois, tirant profit de la corruption existante au sein des FARDC et de l’administration locale. Cette économie illicite est au coeur de la violence et de l’instabilité qui règnent depuis plusieurs décennies dans l’est du pays.

«Pour ramener la stabilité dans le Nord-Kivu, il faut absolument tenir compte aussi du fait que les rivalités locales aussi sont à l’origine des violations», a dit Teddy Kataliko, un leader de la société civile de la province du Nord Kivu, dans laquelle se trouve la région de Beni.[1]

À ce propos, en mars 2016, le Groupe d’Étude sur le Congo (GEC) a publié un rapport intitulé « Qui sont les tueurs de Béni? » où il décrit la situation socio-éthnique du territoire de Béni dans les termes suivants:

La ville et le territoire de Beni, situés au nord du Nord-Kivu, dans l’est de la RDCongo, forment une région habitée par plusieurs communautés: Nande, Mbuba, Pakombe, Mbuti et Talinga. Des tensions entre ces communautés existent depuis l’époque coloniale, période durant laquelle l’administration belge avait favorisé la nomination des Nande dans l’administration locale, parce qu’elle les considérait plus sophistiqués. Elle avait même imposé des chefs Nande à des entités coutumières appartenant traditionnellement à d’autres communautés. Cette domination s’est accentuée avec l’immigration de Nande partis du territoire de Lubero, en quête de terres arables et d’opportunités politiques. Cette situation s’est vue reflétée lors des élections législatives provinciales de 2006, où les 10 élus pour la circonscription de Beni proviennent de la communauté Nande, et des élections nationales, où 8 des 10 députés sont des Nande. Les deux autres élus étant originaires de la communauté Talinga.

Le conflit qui oppose les Mbuba aux Nande semble être particulièrement pertinent: les premiers considèrent les seconds comme des intrus compte tenu de la migration d’un nombre considérable de Nande de Lubero, territoire à forte densité de population, vers les zones moins peuplées de Beni, traditionnellement occupées par les autres communautés. La pression qu’exercent les « agriculteurs » Nande sur les terres arables, où sont installées ces autres communautés depuis longtemps, n’a jamais cessé de croître, provoquant ainsi chez ces dernières de plus en plus de ressentiment, à mesure que les terres libres se raréfient.

Ces tensions se superposent à d’autres au sein de la communauté Mbuba, où trois clans se disputent la gestion du groupement Bambuba-Kisiki. Ce groupement s’étend le long de la route Oicha- Eringeti, où beaucoup de massacres ont eu lieu. Les clans Ombi et Mamba accusent le clan Bohio d’avoir profité de ses relations avec le pouvoir colonial pour usurper la direction du groupement, en dépit du fait que le clan Bohio ait immigré après eux. Ce conflit est resté latent jusqu’en 2012, année du décès du chef de groupement. Finalement, son fils lui succède, mais une contestation ouverte éclate au sein de la communauté et un chef du clan Mamba réclame le pouvoir. Celui-ci accuse, par ailleurs, le clan Bohio d’avoir favorisé l’implantation des Nande dans leur groupement. Des conflits similaires concernant la gestion des terres existeraient entre les Nande et les Talinga, mais aussi entre les Pakombe et les Mbuba. À partir de 2001, ces tensions auraient engendré la formation de milices locales qui se seraient ensuite alliées aux ADF-Nalu.[2]

2. L’ENLÈVEMENT DES TROIS PÈRES ASSOMPTIONNISTES EN OCTOBRE 2012

Le 19 octobre 2012, trois prêtres assomptionnistes de la paroisse Notre Dame de pauvre avaient été enlevés à Mbau, localité située à 20Km de la ville de Beni au Nord-Kivu (Est de RD Congo). Il s’agit des PP. Jean-Pierre Ndulani, Edmond Kisughu et Anselme Wasukundi. Jusqu’à ce jour, rien n’a filtré sur leurs ravisseurs, ni sur leur sort. Personne n’a pu établir avec certitude les circonstances de leur enlèvement. Sont-ils encore vivants? Personne ne le sait. Le père Benoit Grière, Supérieur général des Augustins de l’Assomption, a dit déplorer «le flou qui persiste autour de leur enlèvement».[3]

Le 21 octobre 2014, le journal « La Croix » avait consacré un article aux trois pères assomptionnistes enlevés au Nord-Kivu 2 ans auparavant.

Les P. Jean-Pierre Ndulani, Edmond Kisughu et Anselme Wasukundi, auraient été ravis par une milice armée, avant d’être revendus puis tués par un groupe de confession musulmane. À ce jour, personne n’a pu établir avec certitude les circonstances de leur enlèvement, ni ce qu’ils sont devenus. Absence de revendication, enchevêtrement de communautés ennemies, absence de l’État dans une région isolée, corruption et groupes armés, rumeurs, mensonges, manipulations… l’affaire est complexe et tout concorde pour entretenir l’incertitude autour de cet enlèvement et du devenir des trois religieux.

Quelle est la cause de l’enlèvement?

«Les trois pères assomptionnistes sont congolais, d’ethnie Nande. Mais ils ont été envoyés dans une paroisse majoritairement Bambuba, une ethnie traditionnellement ennemie des Nande», explique à La Croix Nicaise Kibel’Bel Oka, l’éditeur du bimensuel Les Coulisses, connu dans la région du grand Kivu pour être assez bien informé.

Selon ce journaliste, «la population de Mbau réclamait des prêtres issus de sa communauté. Une partie d’entre elle a sans doute été extrêmement déçue par le choix du diocèse lors du renouvellement de l’équipe paroissiale, en octobre 2012. Les trois prêtres ont été enlevés une semaine après leur installation par un groupe armé local, avant d’être remis aux ADF-Nalu».

Effectivement, le Kivu est une région traversée par de fortes tensions communautaires, exacerbées par des rivalités foncières ou l’exploitation des minerais.

L’Église catholique elle-même – l’une des rares institutions encore debout en RDC – n’échappe pas toujours à cette réalité: l’appartenance communautaire joue parfois un rôle non négligeable dans le recrutement, les nominations et l’acceptation des prêtres dans les communautés paroissiales du Kivu. L’ethnie qui domine largement le Nord-Kivu (diocèse de Butembo) est celle des Nande (environ 90 % de la population). «Souvent perçus comme un groupe dominateur et arrogant, ils ne sont pas toujours très appréciés dans la région», explique un Congolais de Goma. «Ils sont aux postes de commande dans le diocèse de Butembo», ajoute Taylor Toeka Kakalal, un journaliste catholique congolais qui sillonne le Kivu.

Qui sont les possibles auteurs de l’enlèvement?

Nicaise Kibel’Bel Oka évoque la responsabilité dans l’enlèvement d’un groupe local de Maï-Maï et du «brigadier général» Paluku Kombi Hilaire, transfuge de l’armée congolaise et véritable «parrain» de la zone. Ses partisans dominent en effet Beni et ses environs. Compte tenu de cette situation, il est difficile de croire qu’il ne soit pas mêlé de près ou de loin à cette affaire. «Soit il a commandité l’enlèvement, soit il a récupéré les otages auprès du groupe local qui les avait enlevés. Pour lui, détenir ces otages pouvait être une façon d’asseoir son autorité sur les populations et les groupes Maï-Maï, au moment où ses amis du Mouvement du 23 mars (M23) dominaient une partie du Nord-Kivu et marchaient sur Goma», analyse un observateur. En l’état de la question et vu le peu d’informations disponibles, cette hypothèse semble aujourd’hui la plus crédible.

Que s’est-il passé ensuite?

Nicaise Kibel’Bel Oka affirme ensuite que Paluku Kombi Hilaire aurait livré les trois prêtres contre des armes à un autre groupe armé, les Forces démocratiques alliées – Armée de libération de l’Ouganda (ADF-Nalu), un groupe rebelle de confession musulmane.

Une affirmation partagée par de nombreux observateurs de la région, comme la journaliste britannique Caroline Hellyer qui habitait Beni à cette époque. Jointe à Londres où elle se trouve aujourd’hui, elle affirme qu’«à la fin de l’été 2013, les ADF avaient ouvert des négociations pour les libérer». Mais une intervention militaire de l’armée congolaise «a fermé toutes les portes».

À ce stade, la raison pour laquelle ce groupe aurait décidé de récupérer les prêtres n’est pas limpide. Les ADF-Nalu ont toujours privilégié la discrétion et la dissimulation. «Leurs otages ne sont pas des personnes connues. Ils enlèvent ceux qui leur sont immédiatement utiles: des jeunes pour transporter les biens volés pendant les attaques, des paysans pour travailler aux champs, des menuisiers, des hommes à tout faire, femmes esclaves sexuelles, des enfants-soldats… Je ne vois pas en quoi ces prêtres leur sont utiles», souligne le chef d’une ONG internationale travaillant dans cette région et chargé d’enquêter sur les ADF.

Que sait-on du sort des prêtres aujourd’hui ?

Depuis début janvier 2014, l’armée congolaise a lancé une offensive contre les ADF-Nalu, l’opération Sukola. Environ 200 otages, dont une vingtaine d’hommes, en ont profité pour retrouver la liberté. Ceux qui les interrogent n’ont relevé aucun témoignage fiable sur la présence des prêtres parmi les otages.

Selon le journal Les Coulisses et Radio Kivu 1, les trois religieux assomptionnistes auraient été tués cet été par les ADF-Nalu, parce qu’ils refusaient de se convertir à l’islam. Mais rien ne le prouve.

«Les ADF sont connus pour pratiquer la conversion forcée et torturent ceux qui résistent. La Mission de l’ONU pour la stabilisation en RD-Congo (Monusco) en a trouvé la preuve dans le camp de Medina, tombé entre les mains de l’armée congolaise au printemps. Pour le reste, personne ne peut en dire plus sérieusement», ajoute le chef d’une cellule urgence d’une ONG internationale, résumant le point de vue général. La probabilité de retrouver vivants les trois prêtres paraît malheureusement assez faible.[4]

3. L’ASSASSINAT DU P. ASSOMPTIONNISTE VINCENT MACHOZI EN MARS 2016

Le 20 mars, pendant la nuit, le P. Assomptionniste Vincent Machozi Karunzu, originaire du village de Vithungwe, dans le territoire de Beni, au Nord-Kivu (Est de RD Congo) et affecté à la paroisse de Lyambo /Kalemire en ville de Butembo, a été assassiné dans l’enceinte du Centre social «Mon Beau Village», situé à Vitungwe-Isale.

C’est à 23 heures que quelque dix hommes en uniformes des Forces Armées de la République Démocratique du Congo (FARDC) lourdement armés, arrivés à bord d’une jeep, ont fait irruption dans l’enceinte du Centre social «Mon Beau Village» et l’ont immédiatement abattu.

Le P. Machozi, en tant que président international de la communauté Nande (sous le nom de « Kyaghanda Yira »), était un homme influent et apprécié. Sur le site Benilubero.com, qu’il avait fondé en 2010, il dénonçait systématiquement toutes les violences perpétrées contre la population locale, systématiquement chassée de ses terres, terrorisée et massacrée par des groupes armés. Le P. Machozi se disait fier d’avoir informé sur «les 1.155 cas des martyrs dans toute la RD-Congo» et d’avoir dénoncé «les manœuvres actuelles d’occupation rwandaise du Kivu et de balkanisation» de la RD-Congo. Selon lui, Joseph Kabila (président de la RD-Congo depuis 2001), en lien avec Paul Kagamé (président du Rwanda depuis 2000), serait derrière tous ces massacres commis dans le territoire de Béni, pour pouvoir en exploiter le sous-sol, très riche en coltan. Il réclamait d’ailleurs une enquête internationale sur les exploitations minières illégales et l’implication des armées congolaises et rwandaises dans ces massacres.[5]

Le 3 mars, 17 jours avant son assassinat, dans une lettre envoyée par e-mail, le P. Machozi écrivait:

«Mobiles du Génocide des populations au Kivu-Ituri:

– L’occupation géoéconomique du Kivu-Ituri par le Rwanda et l’Ouganda en complicité avec le Président congolais Joseph Kabila. Sans être démembrée officiellement, le Kivu-Ituri est depuis 1996 économiquement exploité par le Rwanda et l’Ouganda, deux pays supplétifs des multinationales minières intéressées par l’Or, le pétrole, le coltan, la cassitérite, le diamant, le bois, le cacao, etc.

– Les velléités expansionnistes du Rwanda et de l’Ouganda, expliquées par le plan du contrôle des zones minières de l’Est de la R.D.Congo.

– Les exécutants des massacres des Yira sont principalement des troupes et milices rwandophones.

– Le mode opératoire des tueurs (commandos mobiles), la méthode d’exécution des victimes (mutilation des cadavres), les armes utilisées (machettes, haches, armes à feu) ainsi que la langue principale des tueurs (le Kinyarwanda) ressemblent forts aux caractéristiques du génocide du M23 (2010-2013) et du génocide rwandais de 1994. La main du Rwanda est ainsi omniprésente dans le génocide en cours.

– Pour occuper l’Est de la R.D. Congo, il faut une force d’occupation conséquente. C’est ainsi que le régime Tutsi de Kigali instrumentalise les Hutu du Rwanda et de la R.D. Congo pour servir de force d’occupation. Dans le cas d’une victoire des populations congolaises sur les occupants Hutu, le régime Tutsi de Kigali ne regretterait rien, car il se serait débarrassé du trop-plein des Hutu du Rwanda. Dans le cas d’une réussite du génocide des Yira, le régime Tutsi de Kigali se féliciterait d’avoir conquis une terre fertile et riche en minerais à l’Est de la R.D. Congo.

– Les massacres des populations autochtones visent ainsi à rendre l’Est de la R.D. Congo ingouvernable et non sécurisée pour l’organisation de toute élection avant son occupation effective par des populations rwandophones. Ces dernières occuperaient les terres laissées par les populations locales massacrées ou condamnées à l’errance loin des zones minières convoitées par le Rwanda et l’Ouganda.

– Le déferlement massif actuel des populations Hutu du Rwanda au Nord-Kivu et en Ituri, lesquels immigrés hutu rwandais arrivent en RDCongo munis des cartes d’identité des congolais, des feuilles de route signées par les autorités congolaises du Nord-Kivu participe de cette stratégie d’occupation et explique la parfaite implication du gouvernement congolais dans cette occupation progressive de l’Est de la R.D. Congo par des populations Hutu du Rwanda.

– L’occupation rwando-ougandaise de l’Est de la R.D. Congo est facilitée par les institutions congolaises chargées de la sécurité et de la défense du territoire national de la R.D.Congo, à savoir l’armée (FARDC), la Police Nationale Congolaise (PNC), les services des renseignements (ANR).

Il sied de faire remarquer que pendant ses deux mandats au pouvoir, le Président Joseph Kabila a infiltré plusieurs rwandais dans son armée, sa police, ses services de renseignement, les entreprises de l’Etat, etc. En effet, les soi-disant rebellions de l’Est de la R.D. Congo sont toutes des alliés des régimes de Kinshasa, de Kigali et de Kampala pour asservir la population congolaise locale, piller impunément les richesses de la région, faciliter l’infiltration rwando-ougandaise dans toutes les institutions de la R.D. Congo, occuper durablement les terres fertiles de la région, et tracer la voie de la balkanisation ou de l’autonomisation de la région convoitée.

– L’implication du régime de Joseph Kabila se fait voir aussi par l’inaction des Fardc, de la Police Nationale Congolaise (PNC en sigle) pendant les massacres des populations congolaises. C’est souvent longtemps après les massacres que ces forces de sécurité congolaise arrivent sur le lieu du crime pour faire un simple constat. En plus, il n’y a ni enquête ni poursuite des tueurs qui vont impunément de tuerie à tuerie au grand dam des populations civiles».[6]

Le 3 avril, dans un article intitulé « L’heure des révélations sur l’assassinat du Père Vincent Machozi et les massacres de Béni », le site benilubero.com présente une petite chronologie, non exhaustive, d’un plan d’assassinat du P. Vincent Machozi:

– En avril 2015, le bureau du Père Vincent apprend que Nzanzu Kyakere Roger, alias Berlin, a entrepris des démarches pour initier un mouvement Maï-Maï, ayant l’objectif de se battre contre les tueurs qui venaient d’ouvrir les massacres de Béni. Cette démarche s’effectuait à Kampala. L’entourage du Père Vincent décide alors de contacter Roger, pour le décourage dans cette ambition, car la communauté nande avait perçu que cela était un piège.

– En juin 2015, le bureau du Père Vincent constate avec regret que, au lieu de voir Nzanzu Kyakere Berlin se décourager, suite au conseil qu’il avait reçu de la part de sa communauté de base, il devenait de plus en plus hautain, bénéficiant de la protection des services de sécurité, dont l’ANR, à travers la personnalité de Jonas Kabuyaya, le chef de Poste de l’ANR/Butembo.

– En septembre 2015, il y a apparition d’un nouveau groupe Mai-mai dénommé «Mai-mai Kyaghanda-Yira», conduit par Nzanzu Kyakere Roger, alias Berlin, avec la collaboration de Daniel Masinda, alias Eric. Le vrai objectif de la création de ce groupe consiste à servir de couverture pour camoufler la vraie identité de ceux qui tuent les Nande dans Béni-Lubero et à soutenir la thèse de Joseph Kabila que les Nande s’entretuent eux-mêmes.

– Entretemps, le bureau du Père Vincent obtient des preuves démontrant que Roger Nzanzu Kyakere alias Berlin et Daniel Masinda alias Masinda et leur groupe Mai-mai se sont associés à l’officier déserteur des FARDC, le colonel Richard Bisambaza.[7]

– Depuis le 13 janvier 2016, Daniel Masinda alias Eric, fort du soutient des services de sécurité, entreprend des menaces plus ouvertes contre le Père Vincent Machozi, afin qu’il cesse d’enquêter sur ses activités communes avec son chef Nzanzu Kyakere Roger alias Berlin ainsi que sur leur mouvement Mai-mai.

– Le 11 mars 2016, Benilubero.com recueille l’information faisant état d’une intense collaboration entre Roger et Bisambaza, en vue de ramener quelqu’un à la tête des ex-soldats M23 dans le Graben. En effet, stimulé par Clovis Kalonda qui se fait passer pour le nouveau patron du M23, Bisambaza accepte de devenir son agent militaire privilégié.

– Le 17 mars 2016, quelques témoins informent Benilubero.com que Daniel Masinda alias Eric, le collègue de Berlin, était aperçu dans la contrée de Vitungwe, le rayon dans lequel sera tué le Père Vincent trois jours plus tard.

– Le 20 mars 2016, le Père Vincent Machozi informe le bureau de Benilubero.com et ses proches collaborateurs du Kyaghanda qu’il est sollicité par le Mwami Abdul Kalemire III pour se rencontrer à Vitungwe. Il s’y rend en toute innocence. Un échange tête à tête se tient entre les deux personnes jusque tard dans la nuit, aux environs de 23 heures, heure locale. C’est seulement quelque minute après que le chef Abdul l’ait quitté que les malfaiteurs lourdement armés surgissent et l’abattent. Tout ceci se passe dans la concession du Père Machozi, au centre social MON BEAU VILLAGE, que le chef Abdul Kalemire III avait lui-même proposé pour cette rencontre avec le Père, et pour la réunion des chefs coutumiers qu’il avait convoquée pour le jour qui suivrait.

– Le 21 mars 2016, à une heure du matin, le chef Kalemire informe les membres de la communauté Yira de la diaspora trop tôt que le Père Vincent a été fusillé, et que lui-même l’a échappé bel, uniquement du fait qu’il avait quitté le centre social quelque minute avant l’irruption des assaillants.

Aussitôt après, d’autres témoins oculaires informent que le chef Kalemire III était toujours dans l’enceinte du centre social au moment du drame, mais enfermé dans la chambre qui lui était préparée pour la circonstance de réunion des chefs coutumiers qu’il avait convoqués. Il n’en est sorti qu’au matin, et en se dérobant à la vue des personnes qui venaient. La garde du chef Kalemire n’a fourni aucun effort de défense pour essayer de protéger la victime, malgré l’alerte qui lui avait été donné par les personnes présentes. Bien plus la Police Nationale de Bulambo non plus n’a point bougé. Entretemps, dans l’euphorie de cette « victoire », Daniel Masinda distribue des texto pour demander à un de ses correspondants d’avertir le Coordonnateur General du Kyaghanda de la diaspora que le Père Vincent vient d’avoir sa part et qu’il s’attende également à son tour.[8]

4. MASSACRES ET ENLEVEMENTS: UN DRAME QUI PERDURE

a. Les Forces Démocratiques pour la Libération du Rwanda (FDLR)

Le 25 avril, vers 16h30, 5 civils ont été kidnappés dans leurs champs au Village Kalembe-Kalonge, dans le Secteur des Wanyanga, en territoire de Walikale. Ils auraient été kidnappés soit par les combattants de la milice NYATURA, soit par les rebelles rwandais des Forces Démocratiques pour la Libération du Rwanda (FDLR).[9]

Le 27 avril, pendant la nuit, trois personnes ont été tuées et trois autres blessées lors d’une attaque armée contre une position des Forces armées de la RDC (FARDC) dans la localité de Mulamba, en territoire de Masisi (Nord Kivu). Des sources locales attribuent cet acte à un groupe des combattants Nyatura appuyés par des FDLR. Les combattants Nyatura auraient mené cette attaque pour se venger des actions récemment menées contre eux par le commandant de la police de Mulamba.[10]

Le 28 avril, vers 19h00, Mr. Luanda Bonne-Année, Chef de Groupement Bambo, en Chefferie de Bwito, dans le Territoire de Rutshuru, a été assassiné à son domicile de Bambo. Si certains croient que ce Chef de Groupement aurait été tué par des FDLR ou des miliciens NYATURA, d’autres parlent des bandits armés non autrement identifiés. Certains habitants sur place soutiennent que le Chef de Groupement serait victime de conflits de pouvoir et que sa mort proviendrait des mécontents au sein de la famille régnante. Par contre, d’autres pensent que ce Chef Coutumier de la communauté hunde aurait été victime de conflit ethnique et que ses assassins seraient des extrémistes de l’ethnie hutu.[11]

Le 28 avril, vers 16h00, à Mukumomole, en Groupement Itala, en territoire de Lubero, les FDLR ont kidnappé un couple de paysans revenant de leur champ à leur domicile de Miriki.[12]

Le 28 avril, les miliciens Nyatura coalisés aux FDLR ont tué quatre personnes sur une dizaine enlevées au village Kalembe, en territoire de Walikale. Selon la coordination provinciale de la société civile du Nord-Kivu, les corps de ces victimes ont été retrouvés dans une grotte.[13]

Le 30 avril, 5 civils ont été kidnappés sur la route à Kinyondo/Mapera entre Kayna et Kanyabayonga, au Sud du Territoire Lubero. Selon Jackson Mulenge Molo, qui a pu s’échapper, les 6 ravisseurs étaient des présumés FDLR bien armés, vêtus en uniformes militaires et policières.[14]

Le 3 mai, vers 10h00, 3 humanitaires, chauffeurs du Comité International de la Croix-Rouge (CICR), ont été kidnappés par des hommes armés d’expression rwandaise. Ils les ont fait descendre de leurs véhicules sur le tronçon Kishishe-Bambu, en Groupement Mutanda (à 40km-sud de Kibirizi), en territoire de Rutschuru. Selon les témoignages recueillis, les ravisseurs à défaut d’être combattants de la milice NYATURA doivent être des FDLR.[15]

Le 6 mai, 7 civils ont été kidnappés au tour de 12h00 à Kishi, entre Kibirizi et Nyanzale. Les victimes sont des hommes et des femmes qui étaient à bord d’un véhicule de marque Fuso. Les ravisseurs ont intercepté le véhicule amenant avec eux en brousse le chauffeur et 6 passagers à bord. L’aide chauffeur a été abandonné sur la route avec le véhicule. Les ravisseurs, qui s’exprimaient en kinyarwanda, pourraient être des présumés rebelles rwandais FDLR, si non des miliciens NYATURA.[16]

Le 6 mai, les trois employés congolais du Comité international de la Croix-Rouge (CICR), enlevés le 3 mai ont été libérés. C’est au tour de 17h30 que les 3 ex-otages sont arrivés à BAMBO. Certaines indiscrétions parlent l’éventuelle versement de la rançon par le CICR en échange de leur liberté.[17]

Le 10 mai, vers 23h00 locale, des combattants FDLR se sont introduits au domicile de Jade Ndaki (30 ans) à Kikuku, en Chefferie de Bwito, Territoire de Rutshuru. Ils l’ont fait sortir de sa maison ainsi que son épouse et ses 3 enfants pour lui loger une balle dans sa poitrine avant de l’égorger.[18]

Le 11 mai, au tour de 19h00, des FDLR ont investi le Village de Bwalanda, en territoire de Rutshuru, où ils ont pillé plusieurs habitations et volé 15 chèvres. Ce dernier temps, les habitants de Bwalanda ne savent plus accéder à leur champs ni se mouvoir dans le milieu, car encerclés par les FDLR et leurs alliés NYATURA.[19]

Le 12 mai, entre 9 et 14h00, les FDLR ont coupé la route Kikuku-Kyaghala à hauteur de Malianga, en territoire de Rutshuru. Ils ont entre autres ravi 4 motos taxis avant de dépouiller de tout les Taximen et leurs clients. Nombreuses des leurs victimes sont ceux qui se rendaient au marché de Kikuku.[20]

Le 12 mai, l’administrateur du territoire de Rutshuru (Nord-Kivu), Justin Mukanya, a annoncé qu’environ deux cents personnes sont détenues depuis le début du mois de mai à la prison centrale de Rutshuru, suspectés d’être, directement ou indirectement, à la base de l’insécurité constatée dans la région à partir du mois de février dernier. Selon Justin Mukanya, la situation sécuritaire s’est cependant beaucoup améliorée, même si l’on enregistre encore des attaques sur des véhicules, des meurtres et des enlèvements des voyageurs.[21]

Le 14 mai, vers minuit, des hommes armés ont attaqué une position de l’armée tuant deux militaires et blessant un autre dans la localité de Kilimanyoka, secteur de Kibati, territoire de Nyiragongo, au Nord-Kivu. L’échange des tirs entre les assaillants et les militaires a duré près d’une heure. Les assaillants n’ont pas été identifiés. Selon le capitaine Guillaume Djike, il pourrait s’agir des FDLR.

Selon le CEPADHO, il pourrait s’agir d’une attaque de la RDF (la Rwanda Defense Forces) suite à l’attaque survenue à Mudende, dans le District de Rubavu, au Rwanda, en avril dernier. Pour le Rwanda, cette attaque aurait été l’oeuvre des FDLR avec la complicité directe des FARDC. L’objectif du Rwanda serait d’avoir des éléments à présenter comme preuve contre les FARDC, pour les incriminer dans l’attaque de Mudende/Rubavu: il sied de rappeler que les autorités rwandaises avaient promis à l’équipe du Mécanisme Conjoint de Vérification (MCV) de la CIRGL d’apporter des preuves irréfutables attestant la participation des FARDC dans l’attaque du District de Rubavu. Il est donc évident que ce sont les armes et munitions emportées dans l’attaque de Kilimanyoka qui seront présentées prochainement au MCV de la CIRGL par Kigali, comme preuve contre les FARDC.[22]

b. Les Forces Démocratiques Alliées (ADF)

Le 1er mai, vers 6h00 et 7h20, les ADF ont attaqué des éléments FARDC à Kamungu et à Lese, en Groupement Bambuba-Kisiki, au nord-est du Secteur de Beni-Mbau. 2 civils ont été tués lors des affrontements, dont Mr. BOLUSE, chef coutumier de Kamungu. 2 membres des ADF aussi ont été tués. Au moins 17 civils ont été kidnappés, dont 6 à Kamungu et 11 à Lese.[23]

Le 3 mai, entre 19h45 et 21h00, les ADF ont fait incursion à Mimibo et Mutsonge, en localité de Baungatsu-Luna, proche d’Eringeti, dans le Secteur de Beni-Mbau. Selon divers témoignages, les assaillants se sont introduits dans certaines habitations tuant à la machette / hache et par balles au moins 17 civils (5 Femmes, 4 enfants et 8 hommes). Si les civils tués sont membres de différentes familles, 7 sont d’une même famille. Et on note parmi les morts, un chef local, le Capita Donia. Selon certaines sources, les assaillants ont attaqué les civils à la machette pour ne pas alerter les militaires et la mission onusienne basés dans la région.

En réaction à ces massacres, la société civile de Beni a déploré «négligence» de la part des Forces armées de la RDC (FARDC) et des troupes de la Monusco, dont les bases, d’après elle, sont situées à environ 300 mètres seulement du lieu des massacres. Le président de cette structure citoyenne, Teddy Kataliko, précise même que des alertes avaient été données par la population, quelques heures avant le drame. La société civile dénonce donc «une certaine inefficacité par rapport à la gestion même de l’information. Parce que, la population a fait sa part et qu’il aurait moyen de prendre des dispositions utiles pour contrer l’ennemi».[24]

Le 6 mai, les rebelles ougandais des ADF auraient tué neuf personnes à Tingwe, en localité Baungatsu-Luna, Secteur de Beni-Mbau, au nord du Territoire de Beni, à la limite entre la province du Nord-Kivu et de l’Ituri. Les corps des victimes ont été retrouvés, le soir, découpés à la machette par ces assaillants, rapporte la société civile de Komanda. Après leur forfait à Tingwe, les ADF se sont dirigés à Biane, village situé entre Ndalia et Katabei, Chefferie des Walese-Vukutu, en Territoire d’irumu, Province de l’ituri. Ici, ils ont massacré au total 12 Civils dont 4 Femmes et 8 Hommes. Les assaillants qui ont opérés entre 13 et 15h00 locale se sont livrés en outre au pillage du bétail. Quelques heures avant ce massacre, ces assaillants estimés à plus d’une dizaine, munis d’armes blanches et de fusils et habillés en tenues militaires, étaient aperçus par la population dans la brousse vers Ndalya. Les habitants ont ensuite alerté les Forces armées de la RDC (FARDC) qui se sont déployées dans cette localité pour traquer ces assaillants. La société civile de Komanda demande aux autorités militaires de renforcer leurs positions, pour sécuriser la population qui redoute de nouveau massacres dans leurs entités.[25]

Le 14 mai, cinq civils ont été tués et des maisons incendiées en Ituri au cours d’une attaque des présumés rebelles ADF contre les localités Ndalia et Katabeyi, voisines de la province du Nord-Kivu. Des témoins rapportent que l’attaque a été lancée dans l’après-midi. Les assaillants auraient d’abord tué deux personnes soignées au centre de santé de Katabeyi avant d’incendier cette structure sanitaire. Les mêmes rebelles auraient ensuite tué un conducteur de taxi et une dame qu’il transportait. La dernière victime de cette attaque est un enfant âgé d’environ deux ans. Des sources locales indiquent que des militaires, informés de cette attaque, se sont mis à la poursuite des rebelles. Selon le commandant adjoint du secteur opérationnel de l’armée en Ituri, deux assaillants ont été tués. Un autre a été capturé. Cette attaque est la deuxième attribuée à des présumés ADF en Ituri en l’espace d’environ deux semaines. Les deux attaques ont fait au moins 16 morts.[26]

[1] Cf Katarina Höije – Irin – Beni, 08. 04.’16

[2] Cf Texte complet : http://congoresearchgroup.org/wp-content/uploads/2016/03/Rapport-Beni-GEC-21-mars.pdf

[3] Cf Le Potentiel – Kinshasa, 21.10.’15

[4] Cf Laurent Larcher – La Croix, 21.10.’14 http://www.la-croix.com/Actualite/Monde/Que-sont-devenus-les-trois-pretres-enleves-il-y-a-deux-ans-au-Nord-Kivu-2014-10-21-1224823

[5] Cf Claire Lesegretain – La Croix, 23.03.’16

[6] Cf Benilubero.com, 12.04.’16 – Texte complet: http://benilubero.com/une-lettre-confidentielles-du-pere-vincent-machozi-qui-dit-tout/

[7] Le colonel Richard Bisamaza, ancien militaire du Congrès National pour la Défense du Peuple (CNDP) intégré dans l’armée nationale congolaise, puis commandant du secteur opérationnel à Beni, avait déserté l’armée en août 2013, pour intégrer la rébellion du Mouvement du 23 mars (M23). Après la défaite du M23, il a fui en Ouganda et, depuis lors, il vit à Kampala. Néanmoins, il existe des rapports crédibles qui font état de sa présence dans les environs de Beni, même après son départ, comme par exemple, le 11 février 2015, à Mapobu, près de Mayi Moya. Quand le Colonel Bisamaza a fait défection, la plupart de ses éléments ont rejoint le groupe Maï-Maï d’Hilaire Kombi.

[8] Cf Beni Lubero Online, 03.04.’16

http://benilubero.com/lheure-des-revelations-sur-lassassinat-du-pere-vincent-machozi-et-les-massacres-de-beni/

[9] Cf Bulletin d’information-CEPADHO du 27 Avril 2016

[10] Cf Radio Okapi, 29.04.’16

[11] Cf Bulletin d’Information-CEPADHO du 28 Avril 2016

[12] Cf Bulletin d’Information-CEPADHO du 29 Avril 2016

[13] Cf Radio Okapi, 01.05.’16

[14] Cf Bulletin d’information-CEPADHO du 02 Mai 2016

[15] Cf Bulletin d’information-CEPADHO du 03 Mai 2016

[16] Cf Bulletin d’Information-CEPADHO du 06 Mai 2016

[17] Cf Bulletin d’Information-CEPADHO du 06 Mai 2016

[18] Cf Bulletin d’Information-CEPADHO du 14 Mai 2016

[19] Cf Bulletin d’Information-CEPADHO du 14 Mai 2016

[20] Cf Bulletin d’Information-CEPADHO du 14 Mai 2016

[21] Cf Radio Okapi, 12.05.’16

[22] Cf Radio Okapi, 15.05.’16; AFP – Africatime, 15.05.’16; Bulletin d’Information-CEPADHO du 15 Mai 2016

[23] Cf 2è Bulletin d’information-CEPADHO du 1er Mai 2016

[24] Cf Radio Okapi, 04.05.’16; Bulletin d’Information-CEPADHO du 04 Mai 2016

[25] Cf Radio Okapi, 07 et 08.05.’16; Déclaration du Cepadho à la suite du nouveau massacre de civils par les ADF à Biane et Tingwe, 07 mai 2016

[26] Cf Radio Okapi, 15.05.’16


À la poursuite des tueurs de beni

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Editorial Congo Actualité n. 278– Par le Réseau Paix pour le Congo

Dans la première semaine de mai, au Nord-Kivu on a massacré une cinquantaine de personnes: une quarantaine dans la région de Beni, au nord, par des présumés miliciens des Forces Démocratiques Alliées (ADF), et une dizaine dans le territoire de Rutshuru, au sud, par des présumés membres des Forces Démocratiques pour la Libération du Rwanda (FDLR). Tant les ADF, un groupe armé d’origine ougandaise, que les FDLR, un groupe armé d’origine rwandaise, ont récemment intensifié la stratégie des massacres et des enlèvements de civils. S’il est relativement facile de compter les morts, il est plus difficile de comprendre ce qui se passe réellement et d’en déterminer les causes.

En ce qui concerne les massacres de Beni, les autorités congolaises les attribuent généralement aux Forces Démocratiques Alliées (ADF), une milice présentée comme un groupe terroriste islamique d’origine ougandaise.

Cinq pièces d’un puzzle

– S’il est certain que les ADF sont responsables d’un certain nombre de massacres, toutefois un récent rapport du Groupe d’Études sur le Congo (GEC) a remis en question la version officielle.

« Les ADF ne sont pas réellement ce que les gens croient qu’ils sont », a dit Jason Stearns, l’auteur principal du rapport, soulignant que «les ADF ne sont pas une organisation islamiste étrangère, mais une milice profondément enracinée dans la société locale qui entretient des liens avec des acteurs politiques et économiques locaux» et bien intégrée dans les réseaux de contrebande existants, en particulier celui du bois.

Le fait que certains des assaillants parlent kinyarwanda – une langue qui n’est généralement pas employée dans la région de Beni – suggère l’implication d’autres groupes armés appartenant à une zone géographique plus vaste. En outre, selon divers témoignages, « les assaillants portent souvent des uniformes de l’armée congolaise ». Souvent, les soldats des FARDC ne sont pas intervenus, même lorsque les massacres ont été perpétrés à proximité de leurs positions. On dit aussi que, dans certains cas, certains commandants des FARDC ont ordonné à leurs hommes de ne pas intervenir.

Sur la base de ces éléments, la conclusion du rapport est que, «en plus des commandants qui appartiennent strictement aux ADF, certains membres des Forces armées de la République démocratique du Congo (FARDC), des anciens [rebelles] du Rassemblement congolais pour la démocratie—Kisangani/Mouvement de libération (RCD–K/ML), ainsi que des membres des milices communautaires sont aussi intervenus dans les attaques contre la population civile».

– Les massacres ont commencé le 2 octobre 2014 a Mukoko et à Kokola, à plus de 20 kilomètres au nord de la ville de Beni, exactement le jour après le début, à Beni, du procès contre les assassins présumés du colonel Mamadou Ndala, commandant de l’opération Sukola I menée contre les ADF, tué à quelques kilomètres de Beni le 2 janvier 2014.

Le 3 novembre, devant la cour militaire de Beni, un ancien officier rebelle ADF avait accusé un haut officier FARDC, le lieutenant colonel Nzanzu Birosho, d’avoir reçu, d’après lui, du haut commandement des rebelles ADF, une somme de 27.000 dollars américains, pour planifier un coup meurtrier contre le colonel Mamadou Ndala. Selon l’ancien officier des ADF, c’est le colonel Nzanzu Birosho des Fardc qui aurait organisé l’embuscade dans laquelle était tombé le colonel Mamadou Ndala. C’est le lieutenant colonel Nzanzu Birosho qui aurait donné la trajectoire du convoi du colonel Mamadou et l’heure à laquelle il avait quitté Beni pour se mettre sur la route de Mavivi en partance pour Eringeti. L’ancien officier rebelle ADF a expliqué aussi comment c’était le colonel Nzanzu Birosho qui, au sein des FARDC, avait la charge de contacter les ADF pour des opérations diverses. C’est lui qui leur livrait des armes, des munitions, des tenues militaires, des renseignements sur les opérations et d’autres moyens nécessaires à leurs activités criminelles. Enfin, Enfin, le 17 novembre, la cour militaire a condamné le colonel Birocho Nzanzu Kosi à la peine capitale pour participation à un mouvement insurrectionnel et terroriste, les ADF.

– Toujours selon le Groupe d’Étude sur le Congo (GEC), compte tenu de la forte présence d’anciens officiers de l’Armée Populaire du Congo (APC, la branche militaire du RCD/K-ML) au sein des troupes de l’armée nationale déployées à Beni et des liens historiques entre les APC et les ADF, il est possible que des militaires des FARDC provenant de l’APC aient été impliqués dans les massacre des anciens du RCD/K-ML. En effet, d’après certains témoignages, ces individus auraient planifié et perpétré des massacres au tout début de la vague de tueries, au milieu de l’année 2014. Ils y auraient par la suite renoncé une fois que la spirale de violence semblait leur échapper. Un officier des FARDC a témoigné qu’il avait été contacté par ses anciens camarades du RCD/K-ML en 2014, pour participer aux massacres. Il s’est dit «convaincu que, au début, les auteurs des massacres étaient membres d’une coalition des ex-M23, ex-APC et certains démobilisés ADF». Il faut, enfin, rappeler que le président du RCD/K-ML, Mbusa Nyamwisi, a été membre de la délégation du M23 lors des pourparlers avec le Gouvernement congolais, à Kampala, en Ouganda, après la défaite du M23 en 2013.

– Parmi les causes de la violence, Teddy Kataliko, l’un des leaders de la société civile de la province du Nord-Kivu, où se trouve le territoire de Beni, cite aussi les « rivalités locales« . À cet égard, le journal La Croix publiait, le 21 octobre 2014, un article sur l’enlèvement des trois pères assomptionnistes de la paroisse de Mbau, le 10 octobre 2012. Ce quotidien affirmait que « Les trois pères assomptionnistes étaient Nande. Mais ils avaient été envoyés dans une paroisse majoritairement Bambuba, une ethnie traditionnellement hostile aux Nande« , avait expliqué à La Croix Nicaise Kibel’Bel Oka, directeur du bimensuel Les Coulisses. Selon ce journaliste, « la population de Mbau avait demandé des prêtres issus de sa communauté. Probablement, une partie d’entre elle a été profondément déçue » par l’arrivée de trois religieux membres d’un groupe ethnique différent du sien. Selon Kibel’Bel Oka Nicaise, dans ce climat de mécontentement au sein de la communauté paroissiale, les trois religieux pourraient avoir été enlevés par un groupe armé local, les Maï-Maï de l’Union pour la Réhabilitation de la Démocratie au Congo (URDC) de Hilaire Kombi Paluku, puis remis aux ADF. Créée en 2012, l’URDC était parrainée par des politiciens et des hommes d’affaires opposés au gouvernement central. Elle s’était bientôt alliée avec le M23 et les ADF.

– Dans un article intitulé «L’heure des révélations sur l’assassinat du Père Vincent Machozi et les massacres de Béni », le site benilubero.com cite plusieurs fois l’existence d’un groupe armé dénommé « Maï-Maï Kyaghanda Yira » et créé par Nzanzu Kyakere Roger, alias Berlin, en collaboration avec Daniel Masinda, alias Eric. Ce groupe armé Maï-Maï serait en contact étroit avec un officier déserteur des FARDC, le Colonel Richard Bisambaza, ancien membre du CNDP et du M23, actuellement résident à Kampala, en Ouganda.

Pour une enquête internationale

L’on se trouve face à un enchevêtrement d’absence de l’Etat et de corruption, d’inefficacité des services de sécurité (armée et police) et d’une leur éventuelle implication dans une interminable série de massacres de civils, de groupes armés et d’alliances opportunistes, de conflits fonciers et de rivalités inter-ethniques, de rumeurs infondées et de fausses informations … la situation est complexe et tout contribue à maintenir la confusion, l’insécurité et la violence.

Seule une enquête internationale peut aider à identifier les auteurs, les complices et les instigateurs des massacres, des crimes contre l’humanité et des violations des droits de l’homme perpétrées contre les populations du Kivu en général et du territoire de Beni en particulier.

Une pétition est en ligne pour la solliciter: Signer et diffuser la pétition: Une enquête internationale sur les massacres de Beni et de Lubero (RD Congo)

Congo Actualité n.284

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SOMMAIRE

ÉDITORIAL: MASSACRES DE BENI – VERS L’IDENTIFICATION DES VRAIS RESPONSABLES

  1. LES MASSACRES DE BENI AU NORD KIVU

  2. La Société civile du Nord Kivu contre les massacres de Béni

  3. Le message de l’Assemblée Épiscopale Provinciale de Bukavu (ASSEPB)

  4. Les révélations d’un nouveau rapport du Groupe d’experts de l’Onu pour la RDCongo

  5. Des étranges mouvements de populations rwandophones vers l’Ituri

  6. L’opération « Usalama » contre les ADF

  7. LES FORCES DÉMOCRATIQUES DE LIBÉRATION DU RWANDA (FDLR)

  8. Les FDLR tuent et pillent

  9. Tension à Buleusa

1. LES MASSACRES DE BENI AU NORD KIVU

 

a. La Société civile du Nord Kivu contre les massacres de Béni

Le 14 mai, les coordinations de la Société civile de Beni, Butembo et Lubero au Nord-Kivu ont adressé une lettre ouverte au chef de l’Etat Joseph Kabila sur les massacres des civils perpétrés dans cette province. Dans cette lettre, la Société civile a constaté:

– Plus de 1116 personnes tuées sauvagement entre octobre 2014 et mai 2016, soit une moyenne de 60 personnes tuées par mois, ou encore une moyenne de 2 personnes tuées par jour;

– Plus de 1470 personnes enlevées et portées disparues;

– Plus de 1750 maisons incendiées avec, parfois, des personnes et biens calcinés;

– Au moins 13 Centres de Santé incendiés, parfois avec des malades et du personnel soignant à l’intérieur;

– Plus de 27 écoles détruites, d’autres abandonnées, d’autres encore occupées soit par des déplacés, soit par des dépendants des militaires, soit par des groupes armés;

– Plusieurs villages entièrement occupés par les groupes armés;

– Plusieurs femmes et enfants violés;

– Plus de 34.297 ménages en déplacement forcé et dispersés;

– Plusieurs cas d’enfants en état d’abandon scolaire;

– Des incursions de groupes armés venant de l’étranger sur le sol congolais, entrant par la Chefferie des Bashu, les Secteurs de Rwenzori, de Beni-Mbau en Territoire de BENI, ainsi que par la Chefferie des Batangi, en Territoire de Lubero;

– Des pillages systématiques des ressources naturelles et destructions des biens de la population;

– Des déplacements collectifs et suspects des populations mono-ethniques et monolingues d’origine indéterminée avec une intention à peine voilée d’occupation des terres et de balkanisation;

– La connivence de certains Commandants et Eléments d’Unités FARDC avec les forces négatives et avec certains déserteurs qu’ils sont censés combattre.

La Société civile craint donc que la population de Beni et de Lubero ne soit vouée à la disparition et que cette partie du territoire congolais ne soit occupée par une population aux origines inconnues, ouvrant ainsi la porte à la balkanisation effective.

C’est pourquoi, la Société Civile recommande

* Au Président de la République de:

  1. déplacer l’Etat Major Général des Forces Armées de la RDCongo (FARDC) de Kinshasa au Nord-Kivu, en vue de suivre de près la situation;
  2. interdire aux militaires le commerce et l’exploitation des ressources naturelles;
  3. instruire toute la chaine administrative de cesser de culpabiliser les populations locales et d’assumer sa responsabilité, en identifiant et en poursuivant les coupables;

* Au Gouvernement Central de:

  1. relever tous les militaires des Unités issues du brassage et du mixage, notamment les ex-CNDP, les ex-M23, et les autres mouvements politico-militaires qui ont œuvré au Nord-Kivu depuis 1998 à nos jours, présentement en action dans les opérations SOKOLA 1 ou USALAMA;
  2. accélérer le processus de rapatriement des rebelles rwandais FDLR et de leurs dépendants vers leur pays d’origine;
  3. faire le suivi des éléments ex-M23 se trouvant dans les pays voisins, notamment en Ouganda et au Rwanda;
  4. abandonner le langage de présomption qui évoque régulièrement les « présumés ADF/NALU » et dire clairement l’identité des tueurs.

* Au Gouverneur et au Gouvernement provincial du Nord-Kivu de:

  1. expliquer aux Forces vives l’origine et le mobile du déplacement collectif des populations rwandophones, d’autant plus que les massacres qu’on déplore correspondent au moment de leur arrivée dans les entités en proie aux tueries.

* A la Communauté Internationale de:

  1. diligenter une enquête internationale indépendante, en vue d’identifier les auteurs des massacres et de les juger;
  2. déclarer comme crime de génocide les massacres ciblés des Territoires de Beni et de Lubero;
  3. évaluer les actions de la MONUSCO avec sa Brigade d’Intervention et rendre public le rapport d’évaluation;
  4. mettre sur pied une opération militaire internationale, du genre Artemis, pour mettre fin à ces massacres odieux;
  5. exiger du Rwanda et de l’Ouganda de cesser tout soutien aux Génocidaires opérant en Territoires de Beni et de Lubero et dans les villes de Beni et de Butembo.

Le 18 mai, la Société civile du Nord-Kivu a lancé trois Journées ville morte dans les territoires de Beni, Butembo et Lubero au Nord-Kivu. D’après son communiqué du 16 mai, c’est une façon pour la population de cette province d’honorer la mémoire de plus de mille civils massacrés depuis deux ans dans le grand nord de cette partie Est de la RDC. La société civile du Nord-Kivu appelle aussi les populations des territoires de Beni et Lubero à ne pas payer de taxes ni d’impôts, «tant que la paix ne sera pas rétablie dans cette région». Les responsables de cette structure citoyenne veulent, de cette façon, faire pression au gouvernement pour qu’il rétablisse l’autorité de l’Etat et restaure la sécurité dans ces territoires.[1]

Les 1er et 2 juin, Floribert Anzuluni et Paul Nsapu, membres de la coordination de la plateforme Front citoyen 2016, accompagnés de Carrie Comer, représentante permanente de la Fédération internationale des ligues des droits de l’homme (FIDH), se sont rendus à La Haye, pour y rencontrer Fatou Bensouda, la procureure de la Cour pénale internationale (CPI) et son équipe. Objectif: les sensibiliser sur les tueries à répétition à Beni, dans le nord-est de la RD Congo.

Pour le Front citoyen 2016, «il est aujourd’hui clairement établi qu’il y a une chaîne au sein du haut-commandement militaire de l’armée congolaise qui serait impliquée dans les tueries de Beni», dans le nord-est de la RD Congo. «C’est ce qui explique le silence des institutions judiciaires et politiques congolaises», déplore Floribert Anzuluni, appelant la CPI à se saisir de l’affaire, conformément aux Statuts de Rome. Le coordonnateur du Front Citoyen 2016 rappelle par ailleurs que «le général Mundos, jadis commandant de la zone opérationnelle de Beni, cité à la fois dans le rapport du Groupe d’étude sur le Congo (GEC) de Jason Stearns et dans des rapports d’experts onusiens, n’est toujours pas inquiété par la justice congolaise».[2]

Le 6 juin, au cours d’une conférence de presse à Kinshasa, Corneille Mulumba, Coordonnateur du Regroupement des Pionniers de l’UDPS, a affirmé que «ce qui se passe à Beni fait partie d’un plan minutieusement préparé, et de longue date. Tout est programmé pour arracher la partie Est de notre pays. Pour comprendre cet acharnement, il faut considérer ce que contient le sous-sol de cette partie du territoire national (pétrole, gaz, coltan et autres métaux rares) dont les réserves sont estimées à plusieurs milliers de milliards de dollars. Ceci explique l’acharnement des multinationales, des grandes puissances et de leurs sous-traitants du Rwanda et de l’Ouganda. La surpopulation de la région n’est qu’un prétexte et le déplacement des populations un moyen de réaliser le projet. Déplacer les populations locales et en installer d’autres venues du Rwanda et de l’Ouganda ; tel est l’objectif».

Selon Pionniers de l’UDPS, «le plan des commanditaires des massacres peut se résumer en ceci:

  1. Déclarer d’abord le Grand Nord « zone neutre » en vue de « protéger » les soi-disant « réfugiés réinstallés », c.-à-d. ces habitants que le gouvernement de la RDC n’est pas capables de sécuriser;
  2. Proclamer cette zone « autonome », comme ce fut le cas pour le Kosovo;
  3. Et, enfin, en proclamer l’indépendance.

Pour pouvoir déjouer ce plan machiavélique, le gouvernement congolais doit prendre de toute urgence quelques mesures exceptionnelles ;

  1. Décréter l’état d’urgence sur toute l’étendue du Grand Nord ;
  2. Affecter un nombre suffisant de militaires bien équipés dans chaque village du Grand Nord, et cela jusqu’au lendemain des élections».[3]

b. Le message de l’Assemblée Épiscopale Provinciale de Bukavu (ASSEPB)

Le 29 mai, dans un message publié depuis Kindu, les Évêques de la Province ecclésiastique de Bukavu ont réitéré ce qu’ils avaient écrit l’an dernier: «Chaque jour les tueurs imaginent et mettent en œuvre des pratiques de plus en plus cruelles. Les innombrables groupes armés sont autant des prédateurs qui continuent à se comporter en redoutables ennemis d’un peuple laissé-pour compte. Comme dans une jungle, ces malfaiteurs incendient des villages en toute impunité, provocant le déplacement massif des populations vers les cités où elles sont vouées à la famine et à la misère. Les criminels tuent brutalement avec des machettes, des couteaux et des haches; certaines de leurs victimes ont la gorge tranchée, les bras de nombreux enfants sont mutilés, des femmes enceintes éventrées et des familles entières sont décimées. Ce sont de véritables actes génocidaires, des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité».

Les Évêques ont déploré «l’indifférence des pouvoir publics et l’inattention de l’État face aux problèmes d’aliénation de terres communautaires, soit par occupation anarchique, soit par des contrats léonins et opaques avec des grandes entreprises d’agrobusiness, de la part des représentants de l’État, soit par la création d’aires protégées, unilatéralement décidée et privant les populations locales d’espace vital et cela sans contrepartie».

Par ailleurs, selon les Évêques, «face aux incursions de populations armées qui détruisent des communautés congolaises entières, pour occuper leurs terres, l’État ne s’émeut pas. Les plus hautes autorités nationales se taisent devant des massacres à grande échelle, alors que partout ailleurs chez des nations qui se respectent, l’atteinte à la vie même d’un seul citoyen touche la Nation toute entière et mobilise les autorités politiques au plus haut niveau. De même les instances internationales représentées ici par la Monusco gardent silence. Les populations qui habitent les territoires insécurisés en sont à se demander si le calvaire qu’elles vivent n’obéit pas à une logique et à une idéologie de dépeuplement et repeuplement dans une dynamique sournoise de balkanisation».

Enfin, les Évêques demandent à la Communauté Internationale qu’elle «œuvre réellement pour la  stabilité du pays. Il serait temps que la classe politique des grandes Nations de la planète concède à  tous les peuples le droit de vivre libres et en paix comme les leurs. Qu’elle cesse de concocter ou  d’entretenir, par rébellions interposées, des manœuvres  funestes de démembrements et de remembrements de régions entières à leur gré, au prix de sacrifices humains inouïs. Leurs  citoyens  peuvent dormir en  paix, tandis que sans fin des communautés de régions entières sont décimées  ou  condamnées à l’exil par millions, comme dans cette région des Grands Lacs Africains. Que la réforme de l’Onu ne se contente pas de disputes autour du droit de véto, mais se penche également sur les questions des droits fondamentaux des peuples à l’égalité de chances».

c. Les révélations d’un nouveau rapport du Groupe d’experts de l’Onu pour la RDCongo

Le groupe d’experts de l’Onu pour la RDCongo a remis au Conseil de sécurité de l’ONU son dernier rapport, encore non publié.

– Selon les experts onusiens, plusieurs groupes seraient impliqués dans la perpétration des massacres enregistrés à Béni, et notamment «un groupe de locuteurs kinyarwanda qui sont arrivés dans la zone depuis l’Ouganda et le territoire [congolais] du Rutshuru».

Surtout, dans ce rapport, le groupe a mis en cause des membres de l’armée de la République démocratique du Congo (RDC) pour leur implication dans les tueries de Beni, en soutenant les responsables des massacres. Pour ce comité d’experts, «des officiers des FARDC (les forces armées de la République démocratique du Congo) ont été impliqués dans le recrutement et l’armement de groupes impliqués dans les tueries (de civils)».

Selon le rapport, le général de brigade Muhindo Akili Mundos a recruté, financé et armé des membres des ADF, alors qu’il était en charge, entre août 2014 et juin 2015, de l’opération Sukola (« nettoyage » en lingala) menée contre les ADF mêmes.

«Le groupe a connaissance de huit individus qui ont été approchés en 2014 par le général Mundos pour participer aux tueries», écrivent les experts de l’ONU dans leur rapport.

Trois membres des ADF-Mwalika, un groupe dissident des ADF, ont déclaré aux experts qu’avant le début des tueries, Mundos avait convaincu certains membres du groupe d’intégrer de nouvelles recrues. «Selon eux, le général Mundos a financé ce groupe et lui a fourni des armes, des munitions et des uniformes des FARDC… Même s’il n’est pas clairement établi qu’ils connaissaient l’objectif initial, ces trois éléments des ADF-Mwalika ont bien reçu l’ordre de tuer des civils», précise le rapport.

Interrogé, Muhindo Akili Mundos a rejeté les accusations portées contre lui et déclaré que les tueries s’étaient poursuivies après son départ, en juin 2015, de la direction de l’opération. Le nom du même Général était cité parmi les suspects dans le dossier de l’assassinat du feu Colonel Mamadou Ndala Moustapha, un officier des FARDC qui a combattu les M23/RDF et qui a été assassiné dans une embuscade pendant qu’il était en mission pour combattre les ADF dans la même zone militaire.

Le rapport de l’ONU met aussi en cause des liens entre d’autres officiers de l’armée de RDC et les ADF. Par exemple, le colonel Katachandjo Hangi est également accusé d’avoir fourni «des munitions, des uniformes et de la nourriture ainsi que des renseignements sur les positions des FARDC» aux ADF. Selon certains anciens rebelles, des officiers des FARDC font en outre pression pour faire libérer les combattants des ADF lorsqu’ils sont arrêtés.[4]

d. Des étranges mouvements de populations rwandophones vers l’Ituri

En rapport avec la situation d’insécurité à Beni, la Nouvelle initiative pour le Congo, une plateforme de l’opposition que dirige le sénateur Florentin Mokonda Bonza, dit ne pas croire à l’hypothèse de terrorisme avancée par le Gouvernement. Il en appelle à la mobilisation de tous les Congolais pour faire face à la «menace d’occupation des terres». «Le problème du Kivu, c’est qu’on veut faire peur à la population […] pour qu’elle quitte [ses terres] et que d’autres viennent occuper. Aujourd’hui, en Ituri, il y a des populations qui arrivent et nos frères de l’Ituri ne savent pas d’où elles viennent», déclare Forentin Mokonda Bonza, évoquant «des mouvements des populations qui partent de pays voisins vers notre pays». «On veut occuper le Kivu pour des raisons qui ne sont pas connues officiellement. Mais le problème est sérieux. Il ne faut pas le minimiser. Il ne faut pas le faire passer pour du simple terrorisme. Les Congolais doivent se réveiller et une fois pour toutes. Sinon, nous perdons cette partie», affirme Mokonda Bonza, sans donner plus de précisions.[5]

Le 27 mai, suite à une motion du député provincial Jaribu Muliwavyo, la plénière de l’assemblée provinciale du Nord-Kivu a recommandé au gouverneur Julien Paluku Kahongya la suspension des mouvements de populations de certaines contrées de la province du Nord-Kivu vers le territoire de Beni. L’élu de Beni-territoire a proposé notamment l’identification des populations «inconnues» qui se déplacent vers la province de l’Ituri en transitant par le territoire de Beni, où se perpètrent des massacres attribués aux rebelles ougandais ADF-Nalu. D’après plusieurs sources, ces populations proviendraient surtout des territoires de Walikale et de Masisi dans la partie ouest de la province du Nord-Kivu. Le député Jaribu Muliwavyo parle même de certaines populations qui proviendraient du Rwanda et de l’Ouganda.[6]

Le 28 mai, le gouverneur du Nord-Kivu, Julien Paluku Kahongya, a décidé de suspendre tous mouvements des populations jugés suspects au Nord-Kivu. «Eu égard à la résolution du comité provincial de sécurité en la matière, je vous demande, toutes affaires cessantes, de prendre toutes les dispositions utiles en vue de suspendre les mouvements suspects des populations dans vos entités respectives», a indiqué l’autorité provinciale dans une note circulaire adressée aux maires des villes, aux administrateurs des territoires, aux bourgmestres des communes et aux chefs des chefferies et secteurs.[7]

e. L’opération « Usalama » contre les ADF

Le 14 mai, les Forces armées de la RDC ont lancé une opération militaire dénommée « Usalama » [sécurité, en Français] contre les miliciens des ADF dans le territoire de Beni, au Nord Kivu.

Selon le lieutenant Mak Hazukay, porte-parole militaire du secteur opérationnel grand Nord et des opérations Sokola 1, cette opération militaire de grande envergure est appuyée par la Monusco.

Elle a pour objectif d’éradiquer totalement les ADF et sécuriser la population du territoire de Beni. Elle est ponctuelle et complète l’opération « Sokola 1 » (nettoyer, en français), déclenchée en janvier 2014 pour traquer les ADF.[8]

Le 18 mai, le porte-parole intérimaire de la Monusco, Charles Bambara, a indiqué que des troupes de la Monusco sont aux côtés des militaires congolais «pour les appuyer dans cette action de reconquête de certaines positions ADF dans cette partie du Grand Nord». Charles Bambara a ajouté que les forces de la Monusco pilonnent des positions des ADF à Beni au Nord-Kivu, avec des hélicoptères d’attaque, pour appuyer l’artillerie des FARDC.[9]

Le 19 mai, le lieutenant Mak Hazukay, porte-parole de Sokola 1, a affirmé que, «après sept jours de combats, les FARDC ont réussi à neutraliser 15 éléments ADF et à capturer deux éléments, dont un enfant de 5 ans». Soulignant que «le combat se déroule en profondeur» et loin des agglomérations pour épargner les civils, il a ajouté que les FARDC ont saisi cinq armes AK-47, deux lance-roquettes, des munitions, et détruit une centaine de cases des rebelles. Le haut-responsable militaire a fait remarquer que 9 militaires aussi de l’armée congolaise ont péri et que 10 autres ont été blessés.[10]

Le 30 mai, vers 13h30, des membres des ADF on tendu une embuscade à 3 enseignants de l’Institut Lughendo d’Eringeti qui revenaient d’Oicha (Chef-lieu du Territoire de Beni). Ces professeurs à bord d’une moto venaient de percevoir leur salaire à la banque (TMB) et étaient sur leur chemin de retour. Au cours de cette incident, deux enseignants sont tombés sur les coups de Terroristes et un s’en tiré grièvement blessé. Ce dernier a été admis à l’hôpital général d’Oicha.

Les FARDC sont intervenues en engageant un combat qui s’est poursuivi jusqu’au soir. Une autre victime civile a été atteinte par les tirs des ADF: il s’agit d’une femme, membre de la famille d’un militaire. Elle a immédiatement succombé sur le champ. Cette embuscade intervient deux jours seulement après des attaques simultanées des positions FARDC par les ADF à Kokola, Opira et Tungudu, attaques repoussées après des violents affrontements avec les forces de l’armée régulière congolaise.[11]

Le 13 juin, les FARDC se sont affrontées aux présumés rebelles ougandais des ADF au sud d’Erengeti, dans le secteur de Beni Mbau, au nord de Beni. C’est vers 6 heures (locales) qu’une patrouille de l’armée serait tombée nez à nez avec des rebelles identifiés aux ADF entre Kokola et Parking. Au cours des combats, six combattants ADF ont été tués et deux autres capturés. Cinq armes AK 47 et des minutions ont été récupérées. Côté FARDC, un soldat a été tué et deux autres blessés grièvement. Selon le porte-parole des opérations Sokola 2, le lieutenant Mak Azukay, les FARDC sont en train de consolider leurs positions dans la région du sud d’Erengeti.[12]

2. LES FORCES DÉMOCRATIQUES DE LIBÉRATION DU RWANDA (FDLR)

a. Les FDLR tuent et pillent

Le 16 mai, le Centre d’études pour la promotion de la paix, la démocratie et les droits de l’homme (CEPADHO) a affirmé que les rebelles rwandais des FDLR tuent, pillent et extorquent les biens des populations des groupements de Mutanda et Kihondo au Nord-Kivu. Plusieurs cas de pillages et d’attaques de maisons par les FDLR sont enregistrés dans les localités de Kikuku et Bwalanda, selon le Cepadho. Dans la nuit du 10 mai, un homme aurait été abattu par ces rebelles, en présence de sa famille. Face à cette menace, certains habitants de la région ne parviennent plus à se rendre au champ.[13]

Le 28 mai, au cours de la nuit, cinq personnes ont été tuées et une autre blessée dans une attaque des rebelles FDLR contre une position de l’armée à Katwa, dans le territoire de Nyirongongo (Nord-Kivu). L’attaque est survenue aux environs de 22 heures. Les affrontements ont duré près d’une heure. Deux militaires et trois de leurs dépendants ont été tués. Un jeune garçon vivant à proximité du camp militaire a été grièvement blessé. Après l’attaque, les rebelles rwandais FDLR auraient emporté 10 chèvres et les biens pillés dans cinq habitations.[14]

Le 30 mai, les miliciens de la coalition Nyatura-APCLS se sont installés à Kahira, en groupement Bashali-Mokoto, après le retrait des FARDC de cette localité située à plus de 100 km au Nord-Ouest de Goma (Nord-Kivu). Pour se mettre à l’abri, de nombreux habitants de la région ont pris la fuite.[15]

Pour la société civile locale, lorsque les militaires attaquent les groupes armés et leurs alliés, ils les délogent des zones occupées, mais ne restent pas longtemps pour consolider ces positions.

Ce qui laisse libre champ aux miliciens et autres groupes armées de revenir et réoccuper les lieux, déplore le président de la société civile de Bashali-Mokoto, Laurent Kamundu.[16]

L’administrateur adjoint du territoire de Masisi (Nord-Kivu), Sukisa Ndayambaje, plaide pour le retour des militaires FARDC dans certaines localités du groupement Bashali-Mokoto que les combattants armés NYATURA, APCLS et FDLR occupent en l’absence des soldats de l’armée loyaliste. Il s’agit des localités de Kirumbu, Mpati, Kibarizo, Kivuye. Selon l’administrateur du territoire adjoint de Masisi, certains habitants ont fui la région. Et ceux qui ont eu le courage de rester subissent déjà les exactions de ces combattants. Ils sont sommés de payer une taxe de 1000 francs congolais (1 dollar américain) par ménage et ne peuvent plus se rendre dans leurs champs.

De son côté, le porte-parole de l’opération Sokola 2, le capitaine Guillaume Djike Kaiko, affirme qu’il n’y a pas retrait des FARDC. Il souligne qu’une partie de militaires positionnés dans le groupement de Bashili-Mokoto, est plutôt allée renforcer une autre position des FARDC à Mwesso et Bukombo. Le capitaine Djike Kaiko assure que ces éléments sont déjà en train de regagner leurs anciennes positions.[17]

Le 9 juin, vers 16h00, à Kyasenda, à 5 km- de Kibirizi, en territoire de Rutshuru, les May-May Mazembe ont tué 1 civil hutu dans son champ, l’assimilant aux FDLR.

  Le 10 juin, 3 Nande et 1 Hunde ont été tués par des FDLR dans leurs champs dans la même contrée. C’était au tour de 9h00 locale, lorsque les rebelles rwandais se disaient être en patrouille.

En effet, depuis une semaine, en Chefferie des Bwito (Territoire de Rutshuru) les FDLR s’affrontent contre les May-May de l’Union des Patriotes pour la Défense des Innocents (UPDI), dits May-May Mazembe, venus du Sud-Lubero. Les May-May Mazembe prétendent venir défendre les membres des Communautés Nande et Hunde contre la prise en otage et la barbarie dont ils sont victimes de la part des FDLR en Groupement de Mutanda. Venant des Groupements Tama et Itala  au Sud-Lubero, les May-May viennent d’installer leur position à Kyasenda, dans le Groupement Mutanda, Chefferie de Bwito, en Territoire de Rutshuru. Ce qui suscite des affrontements avec les FDLR qui considèrent cette contrée comme la leur. Ce qui paraît inquiétant, c’est le fait que chaque groupe armé assimile les civils d’expression proche du camp adverse comme étant leurs ennemis. Si les May-May assimilent les civils hutu aux FDLR, les FDLR à leur tour assimilent les Nande et Hunde aux May-May.[18]

Le 18 juin, le Chef de localité de Katwe, en Groupement de Mutanda, en territoire de Rutshuru, a été tué vers 19h00, à son domicile, au Village Kyaghala, par des présumés Nyatura, miliciens hutu proches des FDLR. Étant ce chef de localité un Hunde, son assassinat risque d’exacerber la tension entre Communautés Hutu et Hunde dans cette entité.[19]

Le 19 juin, 6 civils ont été kidnappés en territoire de Rutshuru. Les 6 civils étaient à bord d’un véhicule de marque FUSO en provenance de Kibirizi pour Butembo. Il s’agit entre autre du Patron du véhicule, son Chauffeur et aide chauffeur ainsi que 3 Passagers à bord. Leur véhicule a été intercepté par les ravisseurs sur le tronçon Kibirizi-Rwindi, en Groupement Mutanda dans la Chefferie des Bwito. Les auteurs de ce kidnapping sont des rebelles rwandais FDLR. Ils seraient entrain de fuir la contrée de Kyasenda pour leur base de Kahumiro. Quant aux personnes kidnappés, tous sont membres de la communauté NANDE que les FDLR assimilent aux May-May.[20]

b. Tension à Buleusa

Au Nord Kivu, sept camps de déplacés ont été fermés par la force depuis le début de l’année et pour six d’entre eux au moins, c’est toujours la même accusation qui revient. Les populations locales accusent ces déplacés d’être complices des FDLR, les rebelles hutus rwandais. Pour l’un des leaders de la communauté hutue congolaise au Nord Kivu, cette assimilation hutu – FDLR est dangereuse et infondée. Mais les autorités locales rétorquent que, «dans ces camps, il y a des armes qui sont découvertes et c’est incontestable», assurant qu’une partie de ces déplacés hutus congolais seraient des dépendants des FDLR et donc des hutus rwandais et non congolais.[21]

Des dizaines de familles arrivent chaque jour depuis le mois d’avril dernier à Buleusa, localité à cheval entre le territoire de Walikale et le sud du territoire de Lubero (Nord-Kivu). Selon les autorités coutumières locales, ces déplacés partent de Rutshuru et des localités de Mwesso, Kashuga, Kitshanga, Kalembe en territoire de Masisi. Mais l’administrateur assistant de Walikale indique que, d’après les informations en sa possession, ces personnes viennent de plusieurs camps démantelés au Nord-Kivu, sur décision de l’autorité provinciale.

Cette vague d’arrivée de civils inquiète les habitants de Buleusa et provoque des tensions au sein des populations, car ces déplacés se servent des récoltes des paysans. Les habitants de Buleusa disent craindre aussi que ces mouvements ne favorisent l’infiltration des FDLR dans la région chassés par les Maï-Maï, en novembre 2015.[22]

Pendant la nuit du 12 juin au 13 juin, une grande panique s’est emparée des habitants de la localité de Buleusa, dans le groupement Ikobo, à la limite des territoires de Lubero et Walikale. Un groupe de présumés rebelles des FDLR armés auraient été aperçus aux alentours du village. Pris de panique, la plupart des habitants ont fui vers la brousse, d’autres vers Lubero, notamment à Kanyabayonga, Miriki et ailleurs. Plusieurs sources indiquent que cette panique est consécutive à plusieurs incidents sécuritaires qui seraient provoqués par des rebelles FDLR, qui se cacheraient dans le camp des déplacés de Buleusa et qui commettraient des exactions contre les populations autochtones, notamment des tueries et des pillages.[23]

Le 13 juin, six personnes ont été tuées et trois blessées à Buleusa, localité situé à environ 140 km au nord de Goma. D’ethnie Nande, le chef du village Joseph Kamuha a précisé que des hommes de sa communauté, secondés par des Hunde, avaient attaqué des Hutu soupçonnés d’avoir enlevé l’un des leurs. Un site des déplacés, qui abritait environ 1000 personnes, a été brûlé et toutes les personnes (qui y vivaient) ont dû de rabattre sur un camp des FARDC. Depuis le début de l’année, plusieurs dizaines de personnes sont mortes dans cette zone lors d’affrontements ayant opposé Nande et Hutu. Selon des sources locales, les chefs nande de la région s’opposent au retour de déplacés hutu congolais, qu’ils accusent d’être les complices des rebelles hutu rwandais des Forces démocratiques de libération du Rwanda (FDLR). A Buleusa, Hunde et Nande se considèrent comme les populations autochtones et voient de manière générale les Hutu, rwandophones, comme des « étrangers », des « Rwandais ».[24]

Le 14 juin, l’Assemblée Nationale a recommandé au gouvernement de neutraliser, dans un bref délai, les groupes armés notamment les ADF, les FDLR et les Maï-Maï encore actifs dans la partie Est du pays. Après plusieurs séances organisées à huis clos, les députés ont formulé des recommandations pour combattre l’insécurité dans l’Est du pays. Les élus ont notamment exigé une enquête nationale et internationale pour identifier les auteurs des tueries enregistrées dans le territoire de Beni au Nord-Kivu. Ils ont parlé aussi de traçabilité dans l’exploitation des ressources naturelles, source de la plupart des [conflits] dans la partie Est du pays. Par ailleurs, les députés ont appelé à l’identification des réfugiés se trouvant dans les camps, de préciser leur provenance et de les retourner dans leurs milieux d’origine.[25]

Le 15 juin, des représentants du gouvernement, de l’Assemblée provinciale du Nord-Kivu et de la Monusco se sont rendus à Buleusa. Cette localité a connu des tensions communautaires ces derniers jours suite à un conflit qui oppose les déplacés aux populations autochtones. La tension est vive entre les deux groupes, à la suite d’arrivées massives des populations déplacées en provenance de plusieurs camps démantelés au Nord-Kivu. Les habitants de Buleusa disent craindre que ces mouvements de population ne favorisent l’infiltration des rebelles FDLR dans leur contrée.[26]

Le 16 juin, à Buleusa, des affrontements ont éclaté entre un groupe armé dénommé Nduma Defense of Congo-Rénové (NDC-R) d’un côté et forces armées congolaises et brigade d’intervention de la Monusco de l’autre. Le bilan des affrontements est d’au moins sept morts dans les rangs des miliciens, et des dizaines de blessés. Les miliciens du NDC-R auraient ouvert le feu sur les soldats congolais et les casques bleus sud-africains, pour tenter d’empêcher une distribution de nourriture à des déplacés. Ils étaient déjà accusés d’avoir brûlé l’un des sites de déplacés de Buleusa en début de semaine, au motif qu’ils étaient complices des rebelles hutus rwandais des FDLR.

Selon la Mission de l’ONU pour la stabilisation en RDC (Monusco), le groupe NDC-R dirigé par Guidon compterait entre 300 et 500 membres et son quartier général est établi à Irameso, dans le territoire de Walikale. Le NDC-R est né en juillet 2014. Guidon était auparavant l’adjoint d’un autre chef rebelle influent, Sheka, mais décide de créer son propre mouvement. Dans une note datée de cette époque, que les experts des Nations unies ont pu se procurer, Guidon accuse son ex-mentor Sheka de s’être trompé d’ennemi, en combattant les Forces armées de RDC (FARDC) en lieu et place des rebelles des Forces démocratiques de libération du Rwanda (FDLR). Lui veut faire de la lutte contre les rebelles hutus rwandais une priorité, avec pour revendication d’intégrer in fine l’armée congolaise. Selon plusieurs témoignages recueillis pas les experts, Guidon et ses hommes se seraient mêmes «cooordonnés avec certains officiers FARDC pour combattre les rebelles hutus rwandais FDLR». Certains soldats congolais leur auraient même «fourni des munitions».[27]

Le gouvernement provincial du Nord-Kivu a annoncé une série de mesures pour faire face à la situation sécuritaire et humanitaire dans la localité de Buleusa. Le vice-gouverneur de la province, Feller Lutahichirwa, a annoncé la délocalisation des retournés et déplacés vers un nouveau site pour leur identification et enregistrement. Ces familles cantonnées à Buleusa seront délocalisées dans un site plus viable qui n’est pas encore déterminé. Elles seront prises en charge par le gouvernement pendant toute l’opération d’identification. Le gouvernement provincial a également décidé que l’un des administrateurs assistants du territoire de Walikale est affecté provisoirement à Buleusa pour suivre la situation qui prévaut sur place. Par ailleurs, deux commissions seront mises sur pied. La première pour identifier tous les présumés auteurs des tueries et la seconde, composée des experts, se penchera sur les questions de réconciliation, cohabitation et stabilisation. Le vice-gouverneur a également appelé les partenaires du gouvernement à rendre disponible une assistance humanitaire en faveur de la population de Buleusa.

D’après le responsable du site de déplacés de Buleusa, six personnes sont mortes ces six derniers jours parmi les cinq mille retournés et déplacés recensés sur place.[28]

[1] Cf Radio Okapi, 18 et 19.05.’16

[2] Cf Trésor Kibangula – Jeune Afrique, 03.06.’16

[3] Cf Peter Tshibangu – La Prospérité – Kinshasa, 06.06.’16

[4] Cf Pierre Boisselet – Jeune Afrique, 17.05.’16; Le Congolais, 14.05.’16

[5] Cf Radio Okapi, 22.05.’16

[6] Cf Politico.cd, 27.05.’16

[7] Cf Politico.cd, 29.05.’16

[8] Cf Radio Okapi, 15.05.’16

[9] Cf Radio Okapi, 18.05.’16

[10] Cf Habibou Bangré – Jeune Afrique, 20.05.’16

[11] Cf Bulletin d’Information-CEPADHO du 31 Mai 2016

[12] Cf Radio Okapi, 13.06.’16

[13] Cf Radio Okapi, 17.05.’16

[14] Cf Radio Okapi, 29.05.’16

[15] Cf Radio Okapi, 31.05.’16

[16] Cf Radio Okapi, 23.05.’16

[17] Cf Radio Okapi, 31.05.’16

[18] Cf Bulletin d’Information-CEPADHO du 12 Juin 2016

[19] Cf Bulletin d’Information-CEPADHO 19 Juin 2016

[20] Cf Bulletin d’Information-CEPADHO 19 Juin 2016

[21] Cf RFI, 16.06.’16

[22] Cf Radio Okapi, 08.06.’16

[23] Cf Radio Okapi, 14.06.’16

[24] Cf AFP – Africatime, 14.06.’16 ; RFI, 16.06.’16

[25] Cf Radio Okapi, 15.06.’16

[26] Cf Radio Okapi, 16.06.’16

[27] Cf RFI, 17 et 18.06.’16

[28] Cf Radio Okapi, 21.06.’16

Congo Actualité n. 286

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RAPPORT FINAL DU GROUPE D’EXPERTS DE L’ONU

SUR LA REPUBLIQUE DEMOCRATIQUE DU CONGO

Mai 2016 (Lisez le texte complet en francais)

SOMMAIRE:

RÉSUMÉ

  1. GROUPES ARMÉS ÉTRANGERS
    1. Les Forces Démocratiques de Libération du Rwanda (FDLR)
    2. Les Forces Démocratiques Alliées (ADF)
    3. L’implosion des ADF en plusieurs factions
    4. Violations du droit international humanitaire
  2. GROUPES ARMÉS CONGOLAIS
    1. Le Nduma Défense du Congo-Rénové (NDC-R) et l’Union pour la Protection des Innocents (UPDI)
    2. Les Forces de Protection du Peuple (FPP) et les Forces Démocratiques de Libération du Rwanda – Rassemblement pour l’Unité et la Démocratie (FDLR-RUD)
  3. RÉSEAUX CRIMINELS
    1. Sikatenda Shabani
    2. Enlèvements dans le territoire de Rutshuru

RÉSUMÉ

Bien que les Forces Armées de la République Démocratique du Congo (FARDC) aient mené en 2015 des opérations militaires contre les groupes armés étrangers et locaux dans l’est de la République Démocratique du Congo (RDCongo), ces groupes continuent de contrôler certaines parties du territoire et de tirer parti des ressources naturelles. Il n’y a pas eu de vaste mouvement de rébellion contre le Gouvernement et de nombreux groupes armés se sont morcelés, tout en voyant leurs effectifs diminuer. Les conditions de sécurité ne se sont toutefois guère améliorées pour les civils dans l’est du pays.

Les Forces Démocratiques de Libération du Rwanda (FDLR) restent le groupe armé le plus important du pays, même si elles ont été considérablement déstabilisées par les opérations menées par les FARDC et des groupes maï-maï. Le groupe d’experts a pu constater que certains combattants FDLR sont en possession d’un certificat attestant leur statut de réfugiés. Ils l’auraient obtenu illégalement au cours d’une opération d’enregistrement des réfugiés rwandais encore présents dans l’est de la RDC. Il en résulte que, parfois, il est difficile de les distinguer des véritables réfugiés, ce qui complique la planification des opérations militaires contre eux.

Les Forces Démocratiques Alliées (ADF) se sont désormais scindées en petits groupes, qui agissent sans chaîne centrale de commandement. Le Groupe d’experts a attribué des noms aux différentes factions: les ADF-Mwalika, le groupe de Baluku, le groupe de Feeza, le groupe de Matata et l’unité mobile d’Abialose.

En ce qui concerne leur composition, le groupe d’experts a constaté qu’elle varie d’un groupe à l’autre. Toutefois, dans leur ensemble, ces différentes factions des ADF comprennent des combattants d’origine ougandaise mais aussi des Congolais de la région de Béni et de Butembo ainsi que des individus de langue kinyarwanda. Par exemple, certains combattants du groupe de Baluku parlent le kinyarwanda et le kiswahili mais pas le kiganda. Ils auraient été envoyés auprès du groupe de Baluku par un ancien colonel des FARDC, Richard Bisamaza, un ancien militaire du Congrès National pour la Défense du Peuple (CNDP) qui avait intégré l’armée nationale et qui avait déserté de Béni en août 2013, pour rejoindre le Mouvement du 23 mars (M23). Les ADF-Mwalika comprendraient aussi des anciens combattants de l’ex Armée Patriotique Congolaise (APC), ancienne branche armée du Rassemblement Congolais pour la Démocratie-Kisangani, Mouvement de Libération (RCD-K/ML) de Antipas Mbusa Nyamwisi. En ce qui concerne le groupe de Feeza, les commandants sont tous Ougandais, mais la majorité des combattants sont des Congolais originaires de la région de Béni. Le groupe de Matata serait composé quasi exclusivement par des Congolais de la région de Béni. Les différents groupes ADF ont souvent bénéficié d’un appui de certains commandants des FARDC qui leur ont fourni armes. Munitions, uniformes, informations, recrutements et rations alimentaires.

À propos des massacres perpétrés dan le territoire de Béni à partir du mois d’octobre 2014, aucun groupe armé n’en a revendiqué la responsabilité. De leur coté, les survivants des massacres n’ont pas été en mesure d’identifier les groupes armés responsables de ces tueries. Cela peut s’expliquer en partie par la confusion entourant les attaques et notamment par le fait que la plupart des groupes armés dans la région utilisent l’appellation ADF. Toutefois, les survivants ont fourni des informations intéressantes sur certaines caractéristiques des tueries. Les assaillants utilisent des machettes, d’autres armes blanches et des armes à feu. Dans certains cas, les auteurs étaient vêtus d’uniformes militaires; dans d’autres, ils portaient à la fois des vêtements militaires et des vêtements civils. Des témoins ont indiqué que les auteurs parlaient le swahili (avec un accent local ou étranger), le kinyarwanda, le kiganda et, dans certains cas, le lingala.

Sur la base de ces informations, le groupes d’experts en a déduit que différents groupes sont impliqués : les différentes factions des ADF, un groupe de personnes rwandophones provenant du territoires de Rutshuru (Nord Kivu) et de l’Ouganda e, enfin, des milices locales créées suite à des conflits liés à la propriété des terres, à l’activité commerciale et à l’exercice de l’autorité locale.

Selon le groupe d’experts, de nombreux éléments armés congolais ont été impliqués dans des réseaux criminels et des actes de banditisme sans se rallier à des groupes armés structurés, ce qui a des effets comparables sur le plan de l’insécurité, mais est plus difficile à combattre par des opérations militaires conventionnelles. Le nombre d’ex-combattants participant à des activités criminelles, telles que des enlèvements contre rançons, témoigne de la nécessité d’améliorer les efforts de démobilisation et de réinsertion.

I. GROUPES ARMÉS ÉTRANGERS

A. Les Forces Démocratiques de Libération du Rwanda (FDLR)

En 2015 et 2016, les Forces Démocratiques de Libération du Rwanda (FDLR) ont été considérablement déstabilisées par les opérations militaires menées simultanément par les Forces Armées de la République Démocratique du Congo (FARDC) et deux groupes maï-maï congolais. Ces opérations ont exacerbé les dissensions internes, affaibli les capacités de commandement et de contrôle des dirigeants des FDLR et perturbé leurs sources de financement. Toutefois, les FDLR n’étant pas encore totalement anéanties, le Groupe d’experts estime que le groupe pourrait se reconstituer et redevenir une importante force de déstabilisation dans l’est de la République Démocratique du Congo (RDCongo), notamment parce que la grande majorité de ses hauts responsables sont toujours en liberté.

Le nombre de combattants des FDLR encore opérationnels dans l’est de la RDCongo fait l’objet d’estimations divergentes. Les services de renseignement des FARDC estiment que ce nombre est compris entre 500 et 1.500. Selon le Gouvernement rwandais, au début de 2016, les FDLR compteraient 2.905 membres opérationnels. Le Groupe d’experts estime que les Forces comprennent actuellement de 1.400 à 1.600 membres.

Au début du mois de décembre 2015, dans le cadre de l’opération militaire Sukola II menée contre les FDLR au Nord Kivu, les FARDC ont réussi à s’emparer du quartier général des FDLR, situé sur la colline de Rushihe, dans l’est du territoire de Walikale, ainsi que du poste de commandement du sous-secteur voisin de Canaan situé à Mumo et de celui du sous-secteur de Comet Reserve, près d’Ihula. Les FDLR ont subi des pertes supplémentaires lors d’attaques perpétrées, à la fin du mois de novembre 2015, par deux groupes maï-maï, le groupe Nduma Défense du Congo-Rénové (NDC-R) et l’Union pour la Protection des Innocents (UPDI). Les deux groupes ont chassé les FDLR des positions qu’elles occupaient à la frontière entre les territoires de Walikale et de Lubero (province du Nord-Kivu), y compris à Lusamambo, Bukumbirwa, Buleusa, Kimaka, Kanune et Kateku. Au début de 2016, les FDLR étaient principalement regroupées dans l’ouest du territoire de Rutshuru dans le Nord-Kivu et dans la forêt de Hewa Bora dans le Sud-Kivu.

Les FARDC ont fait savoir au Groupe d’experts qu’au 12 mars 2016, ils avaient tué 68 combattants des FDLR et en avaient capturé 405 depuis le début des opérations en janvier 2015. La MONUSCO a indiqué avoir pris en charge 733 autres membres des FDLR qui s’étaient rendus au cours de la même période. Les FARDC ont indiqué avoir remis plus de 73 enfants à la MONUSCO, sur les 405 qu’ils avaient faits prisonniers. Ces 73 enfants seraient également inclus dans les chiffres de la MONUSCO. Le bilan total serait donc de 68 morts et de 1.065 combattants qui ont été faits prisonniers ou se sont rendus (405 + 733 − 73).

Profitant des nouveaux efforts déployés par la Commission nationale pour les réfugiés pour enregistrer les réfugiés rwandais dans le Sud-Kivu, certains combattants des FDLR ont obtenu des papiers de réfugiés. Dans l’est de la RDCongo, les réfugiés rwandais se trouvent souvent à proximité des bases des FDLR et il est difficile de les distinguer des combattants. Le fait que certains combattants puissent désormais prétendre au statut officiel de réfugié complique encore plus la tâche des services de sécurité congolais. La plupart des ex-combattants des FDLR ayant des papiers de réfugié ont déclaré au Groupe d’experts les avoir obtenus pendant les opérations d’enregistrement menées par la Commission nationale pour les réfugiés à Lumbumba, en décembre 2015 et à Deux Maisons, en janvier 2016, dans le secteur d’Itombwe, situé à l’est du territoire de Mwenga.

Les FDLR ont continué de recruter en 2015 et 2016. Selon un compte rendu écrit d’un commandant de sous-secteur des FDLR, sur les 101 soldats que les FDLR avaient récemment formés, la plupart étaient des réfugiés rwandais, mais 37 étaient congolais.

En 2015, les FDLR ont continué de tirer des revenus du prélèvement de taxes, d’actes d’extorsion, de pillages, d’enlèvements de personnes contre rançon, ainsi que de la vente d’or, de bois, de charbon de bois et de produits agricoles. Elles ont également bénéficié indirectement des distributions humanitaires destinées aux réfugiés et aux personnes déplacées.

Des combattants comme des responsables des FDLR ont informé le Groupe d’experts que les revenus générés étaient récupérés par les commandants militaires, et non par les combattants ou les dirigeants qui n’avaient pas d’hommes sous leur commandement direct. Cet élément d’information et le volume des revenus générés ont été confirmés dans un mémorandum de juin 2015 adressé aux unités par le Président par intérim des FDLR, Gaston Iyamuremye, qui se plaignait que certains cadres devenaient riches, construisaient des logements et achetaient des voitures et des motos, tandis que la «plateforme de combat» des FDLR manquait de fonds.

Le cas de Buleusa est emblématique. Buleusa était la principale ville occupée par la compagnie Derby des FDLR, sous le commandement du « lieutenant-colonel Kizito». Le trafic commercial au travers de la zone était taxé en deux points: à Katsinga et Kimaka. Les camions transportant des denrées alimentaires versaient 10 dollars chacun et ceux transportant des produits du bois (planches ou charbon de bois) 20 dollars chacun. Selon certaines estimations, les recettes annuelles tirées par cette unité des FDLR de la taxation routière à ces deux barrages se seraient élevées à 13 000 dollars au moins. En outre, le Groupe d’experts a trouvé des preuves de la présence de stations de sciage à côté des positions militaires des FDLR et les registres de taxation des FDLR montrent que certains camions transportant des produits ligneux ont franchi le barrage de Kimaka sans être taxés. Une note manuscrite indiquait en marge de l’inscription des camions non taxés que leur contenu était destiné au commandant («comdi») ou au sous-secteur voisin de Canaan («kanani»).

Pour comprendre la valeur de ces chargements sans taxation, l’on sait que un camion commercial peut transporter entre 600 et 800 planches, 130 sacs de charbon de bois ou 80 sacs de maïs ou de haricots. À Buleusa, le sac de charbon de bois se vend à 6.000 francs congolais (6,50 dollars) et les planches se vendent à 3.000 francs congolais (3,25 dollars) chacune.

À Buleusa, un chargement de charbon de bois se vendait 1.000 dollars à Buleusa et un chargement de planches se vendait entre 2.000 et 2.600 dollars. Selon certaines estimations, cette unité FDLR aurait gagné, grâce à la seule vente de planches, entre 24.000 et 31.000 dollars par an.

Un habitant de Buleusa et un ex-combattant des FDLR ont expliqué au Groupe d’experts que le «lieutenant-colonel Kizito» avait contrôlé la production de planches dans la zone, interdisant à d’autres personnes d’accéder aux arbres recherchés, même si elles étaient propriétaires des terres.

Les FDLR contrôlaient également les champs, contraignant des civils à travailler un jour par semaine gratuitement. Un reçu manuscrit portant un cachet ainsi que la date et le nom des travailleurs était délivré aux intéressés pour prouver qu’ils avaient effectué le service. Les principales cultures produites par l’unité des FDLR étaient le manioc, le maïs et les haricots, mais elle cultivait aussi du cannabis.

L’unité FDLR à Buleusa avait vendu un grand nombre de chargements de denrées alimentaires chaque saison, qui avaient été écoulées à Buleusa à des tarifs allant de 1.100 dollars (pour la farine de manioc) à 2.600 dollars (haricots) par camion. À Buleusa, le sac de manioc se vend 13 000 francs congolais (14 dollars), le sac de maïs 20.000 francs congolais (21,60 dollars) et le sac de haricots jusqu’à 30.000 francs congolais (32,40 dollars).

B. Les Forces Démocratiques Alliées (ADF)

1. L’implosion des ADF en plusieurs factions

Les Forces Démocratiques Alliées (ADF) ont connu de profonds changements depuis que l’opération Sukola I, menée par les FARDC, a abouti à la capture de pratiquement toutes leurs bases en 2014 et provoqué leur éclatement en plusieurs petits groupes qui se sont éparpillés dans l’est du territoire de Beni et dans le sud de la province d’Ituri. Certains de ces groupes se sont réorganisés, ont regagné la région où se trouvaient leurs anciens bastions et ont établi de nouvelles bases à la fin 2014 et au début 2015. Ils n’ont toutefois pas continué à opérer conjointement. Au début 2016, il n’est donc plus possible de considérer les ADF comme un groupe unifié. Le Groupe d’experts a attribué des noms aux différentes factions: les ADF-Mwalika, le groupe de Baluku, le groupe de Feeza, le groupe de Matata et l’unité mobile d’Abialose.

Groupe de Baluku

Au milieu de l’année 2014, le groupe des ADF opérant sous le commandement de Seka Musa Baluku s’est déplacé vers l’est, avant d’installer un camp au sud du village de Kainama, au début 2015. Le groupe comptait au total quelque 200 éléments, personnes à charge comprises. Certaines des personnes à charge ont pris la direction du nord, pour se rendre dans l’Ituri, tandis que d’autres sont parties vers le sud, pour gagner la zone de Mwalika. Peu après la mise en place du camp Kainama, le Groupe de Baluku avait reçu des renforts, dont un groupe de 20 à 25 combattants lourdement armés et portant des uniformes militaires. Ces renforts, tenus à l’écart des combattants congolais, étaient appelés les «nouveaux venus», parlaient le kinyarwanda et le swahili mais pas le kiganda. Selon certains ex-combattants des ADF et selon certains officiers des FARDC, les nouveaux combattants auraient été envoyés auprès du groupe de Baluku par un ancien colonel des FARDC, Richard Bisamaza, un ancien militaire du Congrès National pour la Défense du Peuple (CNDP) qui avait intégré l’armée nationale et qui avait déserté de Beni en août 2013, pour rejoindre le Mouvement du 23 mars (M23). Le groupe de Baluku a continué de recevoir des renforts au moins jusqu’au mois de mars 2016.

Groupe de Feeza

Après la chute de Madina, Feeza a emmené son groupe vers l’est pour y rejoindre celui de Baluku, avec lequel il est resté pendant plusieurs mois, avant de regagner l’ouest, en passant vers l’Ituri, pour établir plusieurs camps à proximité de Tshutshubo, sur la rivière Bango et juste au nord de l’ancien camp de Jéricho. Les commandants de la faction, dont les commandants Amigo, Muzzanganda et Lumisa, étaient tous Ougandais, mais la majorité des combattants étaient des Congolais originaires de la région de Beni. Début 2016, le groupe de Feeza comptait quelque 150 personnes, personnes à charge comprises. À l’instar de la faction ADF-Mukulu, le groupe de Feeza a institué un régime judiciaire et des règles religieuses très strictes. Il a obligé tout le monde, y compris les civils qu’il avait capturés, à se convertir à l’islam, à prier en arabe et à apprendre cette langue. Le groupe de Feeza en particulier entretenait des liens étroits avec la population vivant entre Eringeti et Mbau, certains de ses commandants ayant épousé des parentes de chefs locaux. Certains de ces chefs ont été arrêtés en 2015 pour collaboration présumée avec les ADF et sont toujours détenus, pour la plupart à Kinshasa.

Groupe de Matata

Tout près des endroits où s’était installé le groupe de Feeza, le long de la rivière Bango, se trouvait un troisième camp. Ce camp abritait un autre groupe, que les ex-combattants des ADF désignaient sous le nom de «groupe de Matata» et qui était presque exclusivement composé de combattants et de commandants congolais originaires de la région de Beni, dont les commandants Castro et Pascal Undebi. Des ex-combattants de cette faction ont affirmé que les attaques lancées visaient généralement des personnes précises, souvent des commerçants avec lesquels ils étaient en conflit. De telles attaques ont notamment eu lieu à Ndalia (Ituri), Kokola, Linzo, Kakuka et Oicha Il est parfois arrivé que le groupe de Matata opère en collaboration avec un autre groupe constitué de personnes parlant le kinyarwanda.

Groupe mobile d’Abialose

Un groupe mobile composé de 25 à 30 combattants, parlant pour la plupart le kiganda et le kinyarwanda, opérait essentiellement dans la zone d’Abialose sous le commandement du «Major» Efumba. Ce groupe s’en est pris à maintes reprises aux FARDC, notamment à Kainama en février 2015 et à Oicha en octobre 2015, pillant du matériel et d’autres fournitures. Il a aussi tiré à de nombreuses occasions sur des hélicoptères de la MONUSCO, en janvier et en février 2016.

Forces Démocratiques Alliées – Mwalika

Plusieurs camps situés dans la région de Mwalika et au pied des monts Rwenzori abritaient des éléments des ADF-Mwalika. Ces éléments qui, ces dernières années, sont demeurés largement inaperçus, ont cherché à se fondre dans la population locale et se consacrent essentiellement au commerce du cacao et du bois. Bien que le camp de Mwalika n’ait lui-même pas été attaqué, les actions menées au titre de l’opération Sukola I ont privé le groupe de ses contacts commerciaux, l’obligeant à se tourner vers l’agriculture pour subvenir à ses besoins. Selon certains ex-combattants des ADF-Mwalika, cette faction aurait eu des divergences avec Jamil Mukulu avant même la chute de Madina. Les mêmes sources ont affirmé qu’avant le début de l’opération Sukola I, un officier des FARDC, le lieutenant-colonel Birotcho Nzanzu, avait commencé à envoyer des nouvelles recrues aux ADF-Mukulu, notamment de nombreux éléments parlant le kinyarwanda, ce à quoi la faction de Mwalika s’opposait. En 2015 et au début de 2016, la faction ADF-Mwalikaa a continué de recevoir de nouvelles recrues, dont des Ougandais et des Congolais de l’ethnie Nande originaires des régions de Beni et de Butembo.

2. Violations du droit international humanitaire

Attaques contre des civils dans le territoire de Beni

Depuis le début des tueries dans le territoire de Beni en octobre 2014, aucun groupe armé n’en a revendiqué la responsabilité. De leur coté, les survivants des massacres n’ont pas été en mesure d’identifier les groupes armés responsables de ces tueries. Cela peut s’expliquer en partie par la confusion entourant les attaques et notamment par le fait que la plupart des groupes armés dans la région utilisent l’appellation ADF. Toutefois, les survivants ont fourni des informations intéressantes sur certaines caractéristiques des tueries. Les assaillants utilisent des machettes, d’autres armes blanches et des armes à feu. Dans certains cas, les auteurs étaient vêtus d’uniformes militaires; dans d’autres, ils portaient à la fois des vêtements militaires et des vêtements civils. Des témoins ont indiqué que les auteurs parlaient le swahili (avec un accent local ou étranger), le kinyarwanda, le kiganda et, dans certains cas, le lingala. Selon le Groupe d’experts, plusieurs groupes sont donc impliqués dans les tueries de Beni: les différentes factions des ADF, un groupe de personnes parlant kinyarwanda venues dans la région à partir du territoire de Rutshuru et de l’Ouganda, ainsi que des milices locales impliquées dans des différends pour le contrôle des terres et l’exercice du commandement. Le Groupe d’experts a également constaté que des officiers des FARDC ont joué un rôle dans l’appui à certains groupes armés.

Les ex-Forces Démocratiques Alliées – groupe de Mukulu

Pendant plus d’une décennie, les ADF dirigées par Jamil Mukulu n’ont pas perpétré d’exécutions de masse. Ayant établi de solides relations au fil des ans avec la population locale entre Oicha et Eringeti, les ADF menaient principalement des attaques ciblées contre ceux accusés de fournir des informations sur elles ou ne respectant pas les arrangements commerciaux.

Sur la base de ses enquêtes, toutefois, le Groupe d’experts a conclu que les différentes factions des ADF opérant dans la zone située entre Eringeti, Kamango, Kainama et Oicha sont les principaux responsables des tueries.

Les survivants de certaines des attaques ont affirmé que les auteurs parlaient le kinyarwanda, ce qui

correspond aux informations données par certains éléments des ADF, selon lesquels des combattants parlant le kinyarwanda s’étaient joints à eux pour certaines opérations. On peut citer en exemple l’attaque perpétrée le 29 novembre 2015 contre la ville d’Eringeti. Les agresseurs parlaient le kinyarwanda et le swahili avec un accent étranger. Le Groupe d’experts a interrogé deux ex-combattants qui avaient pris part à cette attaque et qui ont reconnu qu’ils faisaient partie des ADF. Compte tenu de leurs explications et des bases à partir desquelles ils avaient opéré, le Groupe a conclu que les deux étaient des membres du groupe mobile Abialose. Les deux combattants ont aussi indiqué au Groupe que des combattants parlant le kinyarwanda et venus de l’Ouganda s’étaient joints à l’attaque.

ADF-Mwalika

En 2006, année où l’Armée Patriotique Congolaise (APC), branche armée du Rassemblement Congolais pour la Démocratie-Kisangani, Mouvement de Libération, s’est démobilisée et a intégré ses éléments armés dans les FARDC, des centaines de combattants ont aussi été dirigés vers la forêt proche de Mwalika par leurs chefs, Antipas Mbusa Nyamwisi et le général Frank Kakolele.

Même s’il reprenait lui-même l’appellation ADF et avait des contacts avec les ADF de Mukulu, ce groupe opérait indépendamment et avait une chaîne de commandement distincte. Certains combattants des ADF-Mwalika ont participé aux tueries. Ils ont été rejoints par des hommes, des femmes et des enfants parlant le kinyarwanda, qui venaient du territoire de Rutshuru ou avaient traversé la frontière en provenance de l’Ouganda. Selon plusieurs des ex-combattants, environ une vingtaine de combattants des ADF-Mwalika avaient quitté le groupe lorsqu’ils s’étaient rendu compte de son lien avec les tueries, ce qui concorde avec les autres informations obtenues par le Groupe d’experts, selon lesquelles les ADF-Mwalika avaient été actifs surtout à la fin de 2014 et au premier semestre de 2015.

Milices locales

Les conflits locaux aussi ont joué un rôle important dans les tueries perpétrées dans le territoire de Beni. Les différends liés au contrôle des terres ou à l’exercice du commandement ont conduit à la création de milices locales, et certains dirigeants locaux ont également établi des liens avec différentes factions des ADF pour renforcer leur position. Par exemple, un chef local, André Mbonguma Kitobi, avait créé sa propre milice suite à un conflit avec l’ICCN. Le groupe de Mbonguma était étroitement lié aux ADF-Mwalika, ce qui s’expliquait en partie par une relation de longue date entre Mbonguma et certains anciens éléments des APC intégrés aux ADF-Mwalika, mais aussi par le fait que ce groupe armé (les Adf-Mwalika) opérait dans son territoire à Mayangose.

Soutien apporté par certains officiers de l’armée Congolaise à des groupes armés

Les éléments d’information recueillis montrent que certains officiers des FARDC ont joué un rôle dans les meurtres, en soutenant les groupes armés locaux. Le Groupe a la preuve que certains officiers des FARDC ont contribué de façon directe à l’insécurité. Certains officiers des FARDC étaient impliqués dans le soutien aux groupes armés commettant des meurtres. Par exemple, un colonel des FARDC, Katachanzu Hangi, fournissait les ADF en munitions, uniformes et produits alimentaires. Le colonel Katachanzu avait communiqué aux ADF des informations détaillées sur la position des FARDC à Eringeti, afin que les Forces Démocratiques Alliées puissent s’emparer des armes des soldats, lorsqu’ils ont attaqué la ville le 29 novembre 2015. Selon les déclarations de trois membres des ADF-Mwalika, huit personnes ont été contactées en 2014 par le général Mundos, pour participer aux tueries. Selon les mêmes sources, le général a financé et équipé le groupe en armes, munitions et uniformes des FARDC. Il s’est rendu à plusieurs reprises dans leur camp, parfois revêtu d’un uniforme des FARDC et parfois en civil.

Arrestation et remise en liberté de personnes impliquées dans les meurtres

Malgré l’arrestation de dizaines de personnes accusées de soutenir les ADF, le Groupe d’experts note avec préoccupation l’absence de progrès dans le domaine de la justice. Les auteurs présumés de meurtres qui ont été arrêtés par des éléments des FARDC n’ont pas été ensuite présentés à des autorités judiciaires. Si un individu ayant participé à des tueries était capturé par les autorités, certains officiers des FARDC s’arrangeaient pour le faire libérer. Le major Kapelo des FARDC était l’un des officiers chargés de cette mission. Un cadre des ADF et un ancien commandant des FARDC ont confirmé que, lorsque des auteurs présumés étaient capturés, ils étaient généralement libérés.

Recrutement

En août 2014, un dénommé Adrian Muhumuza a admis qu’il était un agent recruteur des ADF. Si Muhumuza recrutait pour le compte des ADF, il était aussi lieutenant-colonel chez les FARDC, au service d’un colonel des FARDC du Conseil national de sécurité. Cela confirme que des officiers des FARDC ont été impliqués dans des opérations de recrutement et d’approvisionnement des différents groupes armés responsables des massacres de Beni.

Nécessité d’une enquête approfondie

De nombreux individus, y compris au sein du Gouvernement de la RDCongo, soutiennent encore que les ADF ont des liens avec des groupes terroristes étrangers, mais il n’existe aucune preuve de cette allégation. Ce que l’on sait est que différents groupes armés se réclamant des ADF, certaines milices locales et certains groupes de langue rwandaise ont participé aux tueries. Il est aussi désormais évident que des officiers des FARDC ont été impliqués dans des opérations de recrutement et d’approvisionnement pour les groupes armés responsables de ces massacres. Il s’en suit que, dans toute enquête ultérieure, le lien entre les milices locales, les groupes armés impliqués dans les meurtres et certains officiers des FARDC devrait continuer de faire l’objet d’un examen minutieux.

II. GROUPES ARMÉS CONGOLAIS

A. Le Nduma Défense du Congo-Rénové (NDC-R) et l’Union pour la Protection des Innocents (UPDI)

Les groupes armés formés récemment, le groupe Nduma défense du Congo-Rénové (NDC-R) et l’Union pour la protection des innocents (UPDI), sont devenus des forces considérables en 2015, renversant les FDLR qui contrôlaient l’est de Walikale et le sud du territoire de Lubero.

En juillet 2014, le commandant en second du groupe Nduma défense du Congo, le «général» Guidon Shimiray Mwissa, a fait dissidence et créé son propre groupe, Nduma défense du Congo-Rénové (NDC-R). Ancien lieutenant des FARDC, le «général» Shimiray a dirigé son groupe dans des opérations de ratissage contre les FDLR FOCA (Forces combattantes Abacunguzi), les FDLR Rassemblement pour l’unité et la démocratie (FDLR-RUD) et les Maï-Maï Lafontaine (Union des patriotes congolais pour la paix) dans l’est de Walikale et le sud du territoire de Lubero. Les sources

de la MONUSCO estiment qu’au total, le NDC-R compte entre 300 et 500 éléments.

En novembre et décembre 2015, le NDC-R est entré en contact avec l’Union pour la Protection des Innocents (UPDI) nouvellement créée en vue d’affronter les FDLR le long de la route entre Bukumbirwa et Miriki. Constituée principalement de membres des ethnies Kobo et Nande, l’UPDI est dirigée par Marungu Magua, un Kobo originaire de Mesambo, dont la famille avait un conflit foncier avec le «colonel Kizito» des FDLR. Pour combattre contre les FDLR, le NDC-R et l’UPDI s’étaient coordonnés avec certains officiers des FARDC qui leur fournissaient des munitions.

B. Les Forces de Protection du Peuple (FPP) et les Forces Démocratiques de Libération du Rwanda – Rassemblement pour l’Unité et la Démocratie (FDLR-RUD)

Les Forces de Protection du Peuple (FPP) sont un groupe armé majoritairement hutu qui opère dans le nord-est du territoire de Rutshuru, sous l’autorité d’un ancien membre des Forces Démocratiques de Libération du Rwanda – Rassemblement pour l’Unité et la Démocratie (FDLR-RUD), le «colonel Dani Hugo». Ce groupe est composé d’éléments qui étaient précédemment associés aux FDLR-Soki jusqu’à la mort de leur commandant, le «colonel» Sangano Mushoke, en 2013, et celle de son remplaçant, le «Major» Kasongo, en 2014. Bien qu’elles soient officiellement indépendantes, les FPP peuvent être considérées comme un satellite criminel des FDLR-RUD, sans programme politique propre. Les deux groupes sont en fait difficiles à différencier. Le porte-parole du groupe a confirmé au Groupe d’experts que les dirigeants politiques des FPP et des FDLR-RUD étaient les mêmes. Les FARDC ont estimé que l’effectif total des deux groupes était de 200 combattants. Le Groupe d’experts estime que 70 d’entre eux proviennent des rangs des FPP.

Les FPP sont principalement déployées à Katwiguru et Kisharo le long de la route allant de Rutshuru à Nyamilima, et plus au nord dans le parc national des Virunga à Kigaligali et Busesa. Leurs dirigeants, dont le commandant, «colonel Dani Hugo», le porte-parole, «capitaine Mayanga», et «Major Kadhaf », sont principalement rwandais, tandis que les hommes du rang sont essentiellement congolais. Les FARDC estimaient que ce groupe possédait une soixantaine de fusils

d’assaut, neuf fusils-mitrailleurs, sept roquettes, trois mortiers de 60 mm et un mortier de 82 mm. Les revenus de ce groupe provenaient en majorité des enlèvements, du braconnage (viande fumée) et de la taxation illégale sur la population. En 2014 et 2015, entre 1.000 et 3.000 familles, principalement hutues, ont été réinstallées dans une zone du parc national des Virunga appelée Kongo, partiellement contrôlée par les Forces de Protection du Peuple (FPP) et les Forces Démocratiques de Libération du Rwanda – Rassemblement pour l’Unité et la Démocratie (FDLR-RUD). Compte tenu de la taxation que les groupes armés imposent aux civils vivant dans les zones sous leur contrôle, cette réinstallation a accru leurs revenus de façon considérable.

Après la défaite du M23 en 2013, le chef coutumier du groupement de Binza, Jérôme Nyamuhenzi Kamara, a commencé à distribuer des parcelles de terrain à Kigaligali et dans la région de Katanga, une portion du parc national des Virunga située à l’ouest de la route reliant Nyamilima à Ishasha. Les terrains ont été attribués à des déplacés qui avaient été envoyés dans le camp de Kiwanja, à des

réfugiés congolais du camp de Nakivale en Ouganda et à des civils venus d’autres territoires du Nord-Kivu à la recherche de terres. Les parcelles étaient gratuites, mais les impôts coutumiers devaient être payés après trois ans.

La Fondation Eugène Serufuli a encouragé les civils à acquérir ces terres, a distribué des lots de matériel aux nouveaux arrivants et a bâti un moulin, installé une fontaine et construit une école. Le Groupe d’experts a noté que la zone de réinstallation couvrait les zones appelées Kigaligali 2 et Katanga, qui sont occupées par les FPP et les FDLR-RUD depuis 2010. Ces deux groupes tiraient leur financement de la taxation des civils. À Kigaligali par exemple, chaque sac de denrées alimentaires récolté était taxé à 500 francs congolais (0,54 dollar) par les FDLR-RUD, et 1 500 francs congolais (1,62 dollar) par les FPP. Dans les faits, la réinstallation de familles civiles dans ces zones représente donc un appui financier pour ces groupes armés.

III. RÉSEAUX CRIMINELS

Par réseau criminel, le Groupe d’experts entend tout groupe dont les activités criminelles régulières organisées dans son propre intérêt causent d’importants préjudices à l’ensemble de la communauté. Les motivations de ces réseaux sont avant tout financières, plutôt que politiques. Ils tirent parti des

faiblesses de l’État. Des réseaux criminels peuvent également exister au sein des structures de l’État, dans l’armée par exemple. Les réseaux criminels examinés dans les études de cas ci-après comprennent des membres de groupes armés, ainsi que des éléments en exercice et retraités des FARDC.

A. Sikatenda Shabani

Le Groupe d’experts a découvert que, dans le territoire de Fizi (Sud Kivu), un général des FARDC à la retraite, Sikatenda Shabani, extorquait de l’or à de nombreuses personnes en les menaçant de recourir à la violence. Ce cas illustre comment la distinction entre groupes armés, réseaux criminels et éléments des FARDC peut devenir floue. Avant d’être officiellement intégré dans les FARDC, le général Sikatenda avait été un commandant maï-maï pendant de nombreuses années au Sud-Kivu.

La conduite du général Sikatenda et de son entourage ressemble au plus haut point à celle d’un réseau criminel organisé, dont les activités visent principalement à extorquer un maximum d’or aux exploitants de sites miniers.

Actuellement basé à Kilembwe, dans le territoire de Fizi, le général Sikatenda est systématiquement entouré d’hommes armés. Il se déplace régulièrement vers les zones proches des sites d’extraction de la région de Misisi, où il extorque des périodes de production de 24 heures, 48 heures ou 72 heures à des propriétaires de mines, en édictant des décrets arbitraires et en se faisant impunément passer pour une autorité supérieure à l’administration locale et aux FARDC.

Entre 10 et 20 agents du général Sikatenda sont stationnés en permanence à Misisi, sous le commandement d’un coordonnateur connu sous le nom de Diope. En 2014, ce dernier exigeait une période de production de 24heures par puits et par an. La fréquence est depuis passée à deux, voire trois périodes par an pour chacun des quelque 100 puits opérationnels de Misisi. La période de production visée est passée de 24 heures à 48 heures, puis à 72 heures et, dans un cas, à cinq jours de production. Bien que les propriétaires de puits de mines ne connaissent pas la quantité exacte d’or produite pendant ces périodes, étant donné que le groupe du général Sikatenda achemine ses propres mineurs, un propriétaire a estimé la production journalière habituelle à 100 grammes d’or, ce qui représente une valeur d’environ 4.000 dollars.

Le Groupe a également la preuve écrite que le général Sikatenda a délivré, de son propre chef, des laissez-passer à des transporteurs de marchandises, grâce auxquels leurs véhicules échappent à toute inspection. Ce document porte l’en-tête «République démocratique du Congo: Forces Armées Congolaises» et est signé par le «lieutenant-général Sikatenda Shabani». Bien que ce document n’ait été ni délivré ni avalisé par le Gouvernement de la République Démocratique du Congo ou par les FARDC, il n’en reste pas moins que le général Sikatenda s’est présenté comme un général en exercice des FARDC sans que les pouvoirs publics ne prennent de mesures pour l’arrêter.

B. Enlèvements dans le territoire de Rutshuru

Les organisations de la société civile de Rutshuru ont recensé 110 cas d’enlèvement dans le territoire de Rutshuru en 2015 et au début de l’année 2016, dont une grande majorité accompagnée d’une demande de rançon. La plupart des enlèvements se sont produits sur les routes principales reliant Goma et Kiwanja, Kiwanja et Kanyabayonga, et Kiwanja et Nyakakoma, ainsi que dans le parc national des Virunga. Les victimes étaient généralement des salariés et des hommes d’affaires, mais, parfois aussi, de simples agriculteurs. Des groupes armés de 5 à 10 hommes ont commis les enlèvements, puis ont en général conduit les victimes dans le parc national des Virunga pendant qu’ils négociaient la rançon avec les membres de leurs familles, de leurs villages ou leur employeur. Le montant de la rançon dépendait des moyens de la victime, mais se situait généralement dans une

fourchette de 1 000 à 2 000 dollars des États-Unis. Le paiement était effectué par le truchement d’un intermédiaire ou, dans certains cas, par virement au moyen d’un téléphone portable.

La plupart des auteurs d’enlèvements dans le territoire de Rutshuru appartenaient à des réseaux criminels composés d’anciens éléments nyatura et de transfuges de différents groupes armés. Ces bandes étaient composées en majorité d’anciens éléments nyatura, auxquels les FARDC avaient fait appel en 2012 et 2013 pour combattre le M23. Certains d’entre eux étaient d’anciens membres des Forces de défense des intérêts du peuple congolais et du Mouvement populaire d’autodéfense (voir S/2014/42, par. 159), qui avaient par la suite rejoint des chefs de bande tels que « Jean » Emmanuel Biriko, Godefroid Nizeyimana et Fidèle Karaï. Certains membres des forces de sécurité congolaises avaient également participé à certains enlèvements.

Congo Actualité n.288

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SOMMAIRE

ÉDITORIAL: PLURALISME ÉTHNIQUE – DU CONFLIT À LA COHABITATION

  1. LES FORCES DÉMOCRATIQUES ALLIÉES (ADF)
  2. LES FORCES DÉMOCRATIQUES POUR LA LIBÉRATION DU RWANDA (FDLR) ET ALLIÉS
  3. BULEUSA: DU CONFLIT AU PACTE DE PAIX?
  4. QU’EST-CE QUI SE PASSE AU SEIN DU M23 ET DES FDLR?
  5. LA POPULATION VICTIME DES EXATIONS DE L’ARMÉE, DE LA POLICE ET DES MAÏ-MAÏ
  6. LE PROGRAMME DE DÉSARMEMENT ET DE RÉINSERTION (DDR)

1. LES FORCES DÉMOCRATIQUES ALLIÉES (ADF)

 

Le 5 juillet, au moins neuf personnes, dont cinq femmes, ont été tuées par des présumés rebelles ADF dans les localités de Tenambo, Nzanza et Mamiki, dans la cité d’Oicha, à 30 Km de la ville de Beni (Nord-Kivu). L’Administrateur du territoire, Amisi Kalonda indique que ces présumés ADF ont opéré de 4 heures à 6 heures sous une forte pluie. Alors que certains combattants pillaient les habitations, vivres et petits bétails, d’autres tiraient des coups de feu en l’air ou sur la population, soit massacraient à coup de machettes.

Pour Teddy Kataliko, président de la Société civile de Beni, les forces de sécurité n’ont pas anticipé cette menace des ADF, parce que ces derniers avaient fait circuler des tracts dans la ville de Beni et dans le territoire qui porte le même nom, annonçant une attaque imminente. Il appelle les autorités à collaborer beaucoup plus avec la population et de prendre au sérieux les messages qui arrivent. Le Porte-parole de l’opération Sokola 1, Mak Azukay conteste cette version. Il renseigne les troupes FARDC sont en alerte depuis plusieurs semaines. Il précise que l’ennemi [ADF] a tout simplement profité de la pluie pour opérer. Des sources locales rapportent que de nombreux civils quittent l’Est de la cité d’Oicha et se dirigent vers l’Ouest, pour se mettre à l’abri.[1]

L’attaque a eu lieu à près de 200 mètres d’une position des Forces armées de République démocratique du Congo (FARDC) et à 3 kilomètres d’une position des casques bleus malawites.

Selon les activistes de la région, ni les FARDC, ni la Monusco, ne sont intervenus, malgré les appels à l’aide de la population et les tirs. Selon des témoins, «les assaillants avaient un uniforme militaire complet, avec des foulards arabes autour du cou et des bandeaux rouges autour de la tête». «Ils avaient été repérés la veille par des jeunes qui avaient failli tomber entre leurs mains», poursuit un militant de la société civile, qui assure que ces jeunes ont été interrogés par les forces de sécurité avant d’être libérés à 20h. «On demande toujours à la population de collaborer, mais quand on le fait, ils ne font rien», dénonce encore cet activiste, insistant sur le fait d’avoir lui-même appelé l’ONU et l’armée au début de la tuerie. Une version que l’armée dément, assurant être intervenue dès la première minute et avoir même tué un assaillant, une femme «rebelle ADF».[2]

2. LES FORCES DÉMOCRATIQUES POUR LA LIBÉRATION DU RWANDA (FDLR) ET ALLIÉS

Le 23 juin, appuyée par la Monusco, l’armée a démantelé la position des rebelles rwandais des Forces Démocratiques de Libération du Rwanda (FDLR) à Kazaroho, dans le territoire de Rutshuru, au Nord-Kivu. Lors de cette opération, on a libéré 6 personnes retenues en otage sur la route Kibirizi-Rwindi.[3]

Le 1er juillet, la coalition de l’Alliance des Patriotes pour un Congo Libre et Souverain (APCLS) et Nyatura ont simultanément attaqué, dans la matinée, plusieurs positions des FARDC dans la région de Lukweti, Lwibo et Kinyumba, en territoire de Masisi (Nord-Kivu).

Des sources militaires dans la région parlent de plusieurs morts dans les deux camps. Certaines parlent de 6 morts du côté de l’armée congolaise et de 6 à 8 combattants tués dans les rangs de la coalition APCLS-Nyatura. Avant d’attaquer Lukweti, Lwibo et Kinyumba, cette coalition avait attaqué les positions des FARDC à Kinyumba.[4]

Le 7 juillet, les Maï-Maï de Nduma Defense of Congo/Rénové (NDC/R), venus de la région d’Ikobo, en territoire de Walikale, et les Maï-Maï Mazembe ont lancé, un assaut dans quatre localités de la chefferie de Bwito (Rutshuru). Il s’agit de Katobo, Kitanda, Kitunda et Kikuku, où ils y ont délogé la force de la coalition rebelle Nyatura-FDLR, deux groupes armés issus respectivement des deux communautés hutues congolaise et rwandaise. Des sources locales parlent d’un bilan d’une trentaine de morts. Les déplacés hutus qui se trouvaient à Kikuku et dans les environs ont fui vers les localités de Bwalanda et Nyanzale, situées à 12 km de Kikuku.[5]

Le 14 juillet, deux personnes ont trouvé la mort et deux autres ont été blessées dans une attaque de la position des FARDC à Tongo-Rusheshe, dans le territoire de Rutshuru (Nord-Kivu). Selon la société civile locale, les affrontements ont duré environ deux heures. Après un repli stratégique des FARDC, les assaillants, identifiés comme des rebelles hutus rwandais des FDLR, ont incendié le campement des FARDC.[6]

Le 18 juillet, dans la nuit, huit personnes ont été tuées et cinq autres blessées lors d’une incursion d’hommes armés à Kibirizi, localité située dans le territoire de Rutshuru (Nord-Kivu).

Parmi les 8 morts, on compte 4 Nande et 4 Hutu. Parmi les victimes, il y a un enfant d’une année et des femmes, tuées dans leurs propres domiciles. Selon les habitants de Kibirizi, les assaillants ont opéré en toute quiétude, pendant deux heures, en passant de maison à maison, sans aucune intervention des FARDC. Certaines communautés attribuent cette attaque aux rebelles des FDLR coalisés avec les Maï-Maï Nyatura. Certaines ethnies accusent la communauté hutu d’avoir planifié cette incursion avec l’appui des FDLR. Des jeunes de Kibirizi en colère ont même lapidé un civil, soupçonné d’être de connivence avec les assaillants. La majorité des Hutu ont quitté Kibirizi, à cause de l’insécurité. Selon d’autres sources, ces affrontements entre Hutus et Nandés ont fait dix morts et au moins six blessés. Comme l’explique un habitant de Kibirizi: «La communauté hutu est venue attaquer la communauté nandé, pour se venger de l’assassinat d’un de ses membres le week-end dernier. Ils ont tué six Nandés par balle et brûlé huit de leurs maisons. Les FARDC sont intervenues après que le forfait a été commis, mais ça n’a pas suffi à calmer les Nandés qui ont tué plusieurs Hutus en représailles. Le bilan est donc de dix morts: quatre Hutus et six Nandés».[7]

Le 22 juillet, vers 18h30,  les miliciens Hutu Nyatura alliés aux FDLR ont fait incursion à Bwalanda, en Territoire de Rutshuru. Ils se sont introduits au domicile de Janvier Mupenda, un Notable de la Communauté hunde et ils l’ont fusillé. A leur tour, les Hunde et Nande se sont mis à incendier les habitations des Hutu qui, la veille, venaient de quitter le village. Au total 35 habitations de Hutu ont été réduites en cendres. Et, 3 civils hutu qui étaient dans deux maisons différentes sont morts calcinés dans les habitations incendiées. La coalition Nyatura/Fdlr risque de revenir à Bwalanda pour venger les 3 Hutu morts calcinés et les 35 habitations incendiées.

Depuis le début de l’année, plusieurs dizaines de personnes sont mortes dans cette zone lors d’affrontements opposant les Nande aux Hutu. Les Nande accusent les Hutu congolais d’être complices des rebelles hutu rwandais des FDLR pour les chasser de leur territoire. Les Hutu congolais, qui ne nient pas être à la recherche de nouvelles terres agricoles, accusent les Nande de violer leur droit constitutionnel à s’installer où ils le veulent.[8]

Le 25 juillet, des sources de la Société civile ont affirmé que trois personnes ont été abattues à la suite des accrochages survenus, depuis quatre jours, entre les miliciens de l’Alliance des Patriotes pour un Congo Libre et Souverain (APCLS) de Janvier Kalahari et les Raïa Tujigemeye du groupe Nyatura, à Butale, en territoire de Masisi (Nord-Kivu). Au terme de ces combats, l’APCLS a réussi à déloger les Raïa Tujigemeye de la localité de Butale. Ces derniers, opérationnels dans la région depuis une semaine, ont trouvé refuge vers les localités de Kimoka et Kiziza, dans le groupement de Bashali Mokoto. Ces affrontements ont provoqué une panique dans la contrée, où de nombreux habitants ont abandonné leurs maisons et se ruent vers Burungu et Nyakabingu.[9]

 

3. BULEUSA: DU CONFLIT AU PACTE DE PAIX?

De 1999 à 2015, la localité de Buleusa s’est retrouvée sous la coupe des rebelles hutu rwandais des Forces Démocratiques de Libération du Rwanda (FDLR), présents au Kivu depuis 1994.

En novembre 2015, la population (Hutu et Kobo) fuit le village à l’approche de groupes maï-maï (milices congolaises d’autodéfense) qui finissent par déloger les combattants des FDLR.

Avant de décrocher, les FDLR brûlent des maisons. En quelques jours, 90% des habitations sont incendiées, selon la Mission de l’ONU au Congo (Monusco).

Les Kobo, communauté autochtone du groupement d’Ikobo (dont Buleusa est le chef-lieu), sont rentrés les premiers, à partir de janvier, après que l’armée régulière eut repris la localité.

Les Hutu on suivi en mars. Mais ils ne sont pas les bienvenus. Avec les FDLR, « ils étaient les tenants de Buleusa », explique Petro Kasereka Bwanandeke, chef de la localité.

Les Kobo gardent un douloureux souvenir de l’occupation. « C’était vraiment un calvaire », dit Masumbuko Malikanda, secrétaire du groupement, en ajoutant: « on payait des taxes aux FDLR, on cultivait pour eux parce qu’ils étaient armés, il leur fallait les plus belles femmes ». « Ils ont commis des violences, des tortures », ajoute-t-il, parlant aussi des viols « occasionnels », pas « systématiques », commis par les miliciens.

Face au ressentiment de leurs voisins, les Hutu de Buleusa créent un camp sur les hauteurs de la ville. Mais n’ayant rien pour subsister, « ils ont commencé à piller les vivres des autochtones », dit M. Roger Kungerwa Bihango, un fonctionnaire provincial nommé délégué du gouverneur du Nord-Kivu, Julien Paluku, dans ce village.

Il y a des affrontements à plusieurs reprises, des morts. Hutu et Kobo s’accusent mutuellement de bloquer l’accès des champs de l’autre communauté. Chez ces agriculteurs, tout le monde a une machette pour travailler: les choses peuvent vite dégénérer.

Mi-juin, des combattants maï-maï ont brûlé le camp hutu. Les Casques bleus postés à l’entrée du village sont intervenus et ont tué six assaillants. Côté kobo, on accuse la Monusco d’avoir tué des civils. Après l’attaque, les Hutu se sont réfugiés au sommet de la colline, près des soldats, où ils s’entassent sous des huttes dans des conditions de misère. Rejoints par d’autres Hutu venus des territoires voisins de Rutshuru et Masisi, ils sont aujourd’hui plus de 2.500, dit M. Kungerwa.

Pour les Kobo, le camp servirait de refuge à des FDLR, et la crainte est de voir les autres Hutu – ceux qui ne viennent pas de Buleusa – accaparer leurs terres. On accuse la Monusco (qui ravitaille le camp) et les autorités de n’en avoir que pour les Hutu.

Originaires du Rwanda, les Hutu étaient présents en petit nombre au Nord-Kivu à l’arrivée des Européens à la fin du XIXe siècle. Au XXe, ils arrivent par vagues successives (avec des Tutsi) d’abord transplantés par le colonisateur belge à la recherche de main-d’oeuvre agricole, puis pour des raisons économiques ou politiques au gré de l’histoire mouvementée du Rwanda dans la deuxième moitié du siècle.

Travailleurs, ils acquièrent des terres, toujours davantage. Sur fond de litiges identitaires et politiques exacerbés par le pouvoir finissant du dictateur Mobutu Sese Seko, le conflit foncier entre Banyarwanda (Hutu et Tutsi, perçus comme des étrangers) et communautés autochtones débouche sur des massacres interethniques faisant plusieurs milliers de morts en 1993. Les Banyarwanda fuient en masse à l’est de la frontière.

L’année suivante, après la prise du pouvoir à Kigali par la rébellion tutsi, plus de deux millions de Hutu rwndais se réfugient côté congolais, fragilisant un peu plus un territoire morcelé en une mosaïque ethnique, et contribuant à l’avènement des deux conflits qui vont ravager le Congo entre 1996 et 2003.

Selon Innocent Bahati Kayagwe, le chef du camp de déplacés hutus, « la seule chose qui nous oppose, ce sont les champs. Quand nous sommes arrivés ici, nous avons acheté des champs et après les récoltes, nous avons acheté des vaches ou des chèvres pour l’élevage, et les autochtones sont jaloux de ça ». M. Bahati ne cache pas que ses congénères ont l’intention d’acquérir davantage de terres, mais il explique ce besoin par la pression foncière plus au sud. Là, les petits agriculteurs sont progressivement contraints d’abandonner leurs champs aux grands propriétaires (Tutsi surtout) ou pour des raisons de transmission patrimoniale, les familles étant nombreuses: un terrain vendu dans le sud de Walikale, le Rutshuru ou le Masisi permettra d’acheter dix fois plus grand à Buleusa ou dans ses environs.[10]

A Buleusa, la situation humanitaire et sécuritaire reste très tendue. Plus de 3 000 déplacés hutus ont trouvé refuge dans une position de l’armée congolaise suite à l’incendie d’un de leurs sites par des membres de la communauté Kobo qui les accusent d’être armés et complices, sinon membres, des rebelles hutus rwandais des FDLR.

Les Casques bleus sud-africains sont tendus, encore en train d’installer leur camp provisoire à l’entrée de la localité. Ils disent avoir été attaqués la semaine dernière par des miliciens alors qu’ils transportaient de la nourriture destinée aux déplacés. De son côté, la communauté Kobo accuse la Monusco d’avoir tiré sur des civils qui manifestaient.

Pour la troisième fois depuis 15 jours, des Casques bleus et des membres civiles de la Monusco ont distribué des rations alimentaires aux déplacés qui étaient à nouveau à court de vivres. «Ce sont des haricots verts et des sardines, du riz et de la farine de maïs», explique l’un d’entre eux.

Les déplacés accusent les Maï Maï Mazembe et le NDC-Renové de Guidon  d’être derrière les attaques qu’ils ont subies. Pendant ce temps dans le village, les habitants pestent contre les Casques bleus, accusés d’être complice des déplacés hutus congolais et des rebelles hutus rwandais des FDLR. Sur l’artère principale de Buleusa, les habitants, majoritairement Kobos, continuent de retaper leurs maisons, brûlées par des FDLR à la fin de l’année dernière. Toujours très en colère, ils multiplient les ultimatums, menaçant de marcher sur le camp de fortune des déplacés hutus congolais. «S’ils ne sont pas dégagés, c’est nous qui allons le faire», s’invective un commerçant, en ajoutant que la Monusco et le gouvernement sont également visés par cet ultimatum, car «ils sont complices».

De l’autre côté de la localité, plusieurs positions de l’armée congolaise, et des dizaines de cases brûlées. Au moins deux sites de déplacés, l’un attaqué il y a quinze jours, l’autre brûlé après le départ des déplacés qui ont fui par peur de subir le même sort. «La situation n’est vraiment pas bonne», confie un officier congolais, craignant une nouvelle attaque des Kobos sur les Hutus. «Et là-haut, nos militaires sont moins d’une vingtaine», ajoute-t-il, désignant d’une main le nouveau site de déplacés. Le seul terrain «neutre» reste le centre de santé où les deux communautés viennent se faire soigner. Accusations et démentis fusent de part et d’autre, avec un sentiment commun, que l’autre communauté «ment».[11]

Depuis quelques mois, les déplacés hutu, entre 3 000 et 4 000, ne se sentent pas en sécurité. Ils n’osent plus sortir du camp. «Je ne peux pas aller dans le village. Même si j’aimerais bien acheter du sel, j’envoie seulement quelqu’un pour me ramener ça», affirme une dame. Les déplacés sont «prisonniers», reconnaissent les soldats congolais. Si les déplacés acceptent de quitter le camp militaire pour une autre destination, ils veulent rester dans le territoire de Walikale, « près de nos champs», disent-ils. Des terres dont les Kobos et d’autres communautés ne leur reconnaissent pas la propriété. De son côté, la communauté kobo assure vivre dans la peur d’une attaque des déplacés hutus ou même des FDLR. Une mère montre une case calcinée. «Ma maison a été brulée par les FDLR. Je n’arrive pas à la reconstruire, j’ai des difficultés financières et ça fait trois mois que je suis rentrée ici», explique-t-elle. Sa maison comme toutes les autres ont été brulées par les rebelles hutus rwandais en représailles d’une attaque des Maï Maï Mazembe et des NDC-rénové de Guidon.

Tous n’ont pas les moyens de reconstruire leur maison faute de revenus à cause des récoltes perdues. Ils réclament le départ des déplacés hutus du territoire de Walikale.[12]

Un groupe d’experts a été envoyé à Buleusa avec une mission d’évaluation sur le terrain. Cette mission ne s’est pas faite sans embûche, la communauté kobo s’étant montrée dans un premier temps ouvertement hostile.

L’objectif était d’identifier les milieux d’origine de ces déplacés hutus. Et première surprise, ils proviennent pour l’essentiel du Masisi voisin. Ils vivaient dans le camp de Mokoto, fermé et brûlé par la police après la découverte d’une arme, mais aussi dans les camps de la zone Mpati, temporairement fermés pendant les opérations des FARDC contre les FDLR, ou dans le camp de Miriki, fermé sur pression de la communauté nandé, après le massacre de la famille d’un chef traditionnel de Buleusa, mais aussi dans des localités avoisinantes.

Le deuxième objectif était de trouver un site pour accueillir temporairement ces déplacés et les sortir du camp militaire où ils sont entassés. Mission quasi-impossible, au vu de la présence dans les environs de Buleusa de groupes armés hostiles aux déplacés hutus, même si une petite vingtaine de policiers viennent d’arriver pour renforcer la sécurité. «Ils sont arrivés sans rien», dit une source locale. Les humanitaires, agences comme ONG, hésitent à intervenir : manque de moyens, problème de sécurité, peur d’être associé à l’un ou l’autre des belligérants. Ils rappellent que la Monusco s’était fait attaquer alors qu’elle tentait de distribuer de la nourriture aux déplacés hutus.[13]

Le 16 juillet, une équipe de la Commission nationale des réfugiés (CNR) est arrivée pour identifier les habitants du camp, afin de pouvoir faire le tri entre Hutu de Buleusa et Hutu d’ailleurs (éventuellement non congolais) en vue de réinstaller chez eux les premiers et de relocaliser les autres. Mais un tract kobo à l’attention des autorités circule, appelant au « départ » de tous les déplacés avant toute « identification ».[14]

Selon des notables de Rutshuru et membres du Baraza la Wazee, la structure qui regroupe toutes les communautés ethniques du Nord-Kivu, ces tensions entre les ethnies locales sont entretenues par des politiciens «en mal de positionnement», à l’approche des élections. Déo Tusi Bikanaba, le vice-président du Baraza la Wazee, estime que les conflits générés dans cette province ont toujours été entretenus par certains politiciens véreux et assoiffés de pouvoir. «A la population, nous lui demandons de ne pas prêter oreille à ces mauvais politiciens et nous lui demandons de se désolidariser des groupes armés qui ne font que tuer et commettre des dégâts», a-t-il plaidé.[15]

Le 23 juillet, à Buleusa, les communautés Kobo et Hutu en conflit depuis plusieurs mois dans le groupement Ikobo, à cheval entre les territoires de Lubero et Walikale, ont signé un pacte de paix. Les Kobo, autochtones de Buleusa, protestaient contre le retour massif des déplacés hutus, non autochtones. Ils les accusaient de se faire accompagner des rebelles rwandais des FDLR. Les Hutus de leur côté boudaient l’autorité du chef Kobo et s’approvisionnaient de force dans les champs des Kobo et cela créait une tension et des affrontements entre les deux peuples.

Les deux communautés ont signé un acte d’engagement en présence de la délégation conjointe Gouvernement-MONUSCO, conduite par le vice-Premier ministre en charge de l’Intérieur, Evariste Boshab. De son côté, le représentant de la communauté Hutu, Bahati Kayago Innoncent, s’est engagé à reconnaitre le pouvoir coutumier en place.

Le représentant spécial adjoint du secrétaire général des Nations-Unies en charge des questions humanitaires a annoncé l’exécution de quelques projets intégrateurs en faveurs de ces deux communautés. Il a notamment promis, dans un délai proche, la construction d’une école et d’un centre médical en faveur des enfants et des habitants de toutes les communautés à Buleusa. Pour sa part, Evariste Boshab a promis l’envoi de semences aux habitants de Buleusa, pour leur permettre de relancer les activités agricoles.[16]

4. QU’EST-CE QUI SE PASSE AU SEIN DU M23 ET DES FDLR?

Le 1er juin, le gouvernement a annoncé d’avoir officiellement agréé l’ex-rébellion du Mouvement du 23 mars (M23) comme parti politique dénommée « Alliance pour le Salut du Peuple (ASP)« . L’enregistrement de ce parti a été certifié par un arrêté ministériel du 30 mai 2016 signé par le vice-Premier ministre et ministre de l’Intérieur, Evariste Boshab. «Nous sommes comme l’interlocuteur civil du gouvernement rd-congolais dans les discussions sur l’accord-cadre d’Addis-Abeba et dans toutes autres négociations», a déclaré Moise Tshokwe, membre fondateur de l’ASP. Pour sa part, Jean-Marie Runiga, membre de l’ex M23 en fuite au Rwanda et autorité morale de l’ASP, a affirmé: «Notre parti politique reste toujours dans la logique d’une transition avec le président Kabila. On ne doit pas ignorer que Kabila a toujours eu une majorité en RDC et que sa présence est inévitable dans une transition de trois ans pour une organisation d’élections apaisées».[17]

Dans un communiqué, Bertrand Bisimwa, président du M23 en fuite en Ouganda, a indiqué que «la direction du groupe rebelle n’a entrepris à ce jour aucune procédure administrative dont la finalité serait la transformation de l’organisation en parti politique». «Il est toutefois légitime, pour tout membre en cessation ou non avec les activités du Mouvement et pour des raisons qui lui sont propres, de créer ou d’adhérer à une organisation politique autre que le M23 sans que sa décision ait une quelconque incidence sur le Mouvement du 23 mars, ses structures, ses activités, moins encore sa philosophie politique», a précisé M. Bisimwa.

Pour rappel, le 27 mai le M23 et le gouvernement se sont rencontré à Kinshasa, dans le Cadre du Comité de suivi des deux déclarations signées à Nairobi le 12 décembre 2013.[18]

Des membres des Forces démocratiques de libération du Rwanda ont décidé de quitter la rébellion hutue pour créer leur propre mouvement, le Conseil National pour le Renouveau et la Démocratie. (CNRD). Cette décision entérine l’opposition entre le chef des rebelles, Victor Byiringiro, et son vice-président, Wilson Irategeka. C’est le principe du recensement biométrique des réfugiés rwandais qui aurait opposé le colonel Irategeka, favorable à cette disposition, à Victor Byiringiro, qui aurait décidé de le suspendre du mouvement. «Irategeka est instrumentalisé par la communauté internationale ou pire par le Rwanda», affirme un cadre FDLR. Mais au CNRD, on cherche à se démarquer. «Nous ne sommes pas des FDLR, mais de simples réfugiés rwandais», insiste le porte-parole du mouvement qui avance pourtant les mêmes revendications que les FDLR, le retour au Rwanda dans la dignité et un dialogue politique avec Kigali.[19]

La coordination provinciale de la société civile du Nord-Kivu tire l’alerte sur la naissance d’une nouvelle rébellion dans la chefferie de Bwito, en territoire de Rutshuru. Selon des informations de cette structure, cette rébellion dénommée « Conseil National pour le Renouveau Démocratique » (CNRD) serait une coalition des rebelles hutus rwandais FDLR (FOCA et RUDI) et des ex-M23. «Ce n’est pas aujourd’hui que nous, à la société civile, on parle des infiltrations d’éléments rwandais, du retour incontrôlé des éléments du M23, des FDLR rapatriés au Rwanda mais qui sont renvoyés par la force en RDCongo».[20]

5. LA POPULATION VICTIME DES EXATIONS DE L’ARMÉE, DE LA POLICE ET DES MAÏ-MAÏ

Les jeunes de Nyiragongo (Nord Kivu) accusent les militaires en poste dans ce territoire de les arrêter sans motif valable. Selon le président du conseil territorial de la jeunesse, Faustin Zabayo, ils imposent même des amendes sans raison. «Nous avons constaté des dérapages auprès des FARDC, entre autres le 802ème régiment et le 313ème commando basé à Munigi. Lorsque la population va chez les FARDC pour dénoncer des mouvements suspects, c’est la population qui devient victime. Ils arrêtent des gens et exigent une somme entre 100 et 150 dollars américains», dénonce Faustin Zabayo. Il fait remarquer que ce comportement des militaires crée une méfiance de la population vis-à-vis de l’armée. «Actuellement, on ne sait plus collaborer avec l’armée, qui est devenue l’ennemi de la population», se plaint le président du conseil territorial de la jeunesse de Nyiragongo. Le directeur de la presse de la 34ème région militaire, le capitaine Guillaume Ndjike Kaiko, rejette ces accusations.[21]

Dans un communiqué du 29 juin, l’Association Africaine de Défense des Droits de l’Homme (ASADHO) se dit très préoccupée par le nombre de barrières et de taxes illégales dont les populations sont victimes de la part des militaires et des policiers dans tous les territoires de la province du Sud Kivu. En effet, selon l’ASADHO, «les barrières installées pour protéger les populations civiles face aux actes d’insécurité et d’abus des milices sont devenues de grands postes de perception de taxes illégales de la part des FARDC et de la Police Nationale Congolaise. Ces perception s’opèrent jour et nuit, dans l’indifférence totale de toutes les autorités politico-administratives. Selon les enquêtes faites par l’ASADHO dans la province du Sud Kivu, il y a plus de 74 barrières de perception de taxes illégales qui ont été identifièes (Fizi: 16 barrières, Kalehe: 14 barrières, Mwenga: 13 barrières, Shabunda: 8 barrières, Walungu: 7 barrières, Bukavu: 16 barrières … )». A chaque barrière, tout passant, tout moyen de transport (moto, vélo, véhicule, …) est obligé de payer une somme d’argent allant de 1.000 à 20.000 FC par jour et à chaque passage, soit entre 1 à 20 $ sans délivrance d’aucune quittance. C’est le trajet vers Mulungu qui coute cher à cause des activités minières. Ici, tout passant paie 10.000 FC, soit 10 $ par jour. Avec une fréquence de 500 à 1.000 personnes par jour, les policiers ou militaires commis à cette barrière de Mulungu ne manquent pas la somme d’au moins 10.000 $ par jour. L’ASADHO  recommande au Gouvernement de supprimer toutes les barrières qui ne sont pas nécessaires pour la sécurité des personnes et de leur biens. Cette ONG demande également une enquete pour identifier tous les militaires et policiers impliqués dans cette perception des taxes illégales.[22]

Des miliciens Maï-Maï Kifuafua sont accusés de commettre des exactions sur des populations civiles à Kiraku et ses environs dans le territoire de Walikale au Nord-Kivu. Selon certains témoignages, les habitants de ces localités sont victimes d’arrestations arbitraires, tortures, imposition des taxes et amendes illégales. Parfois, les Maï-Maï Kifuafua du chef milicien Delphin Maenda tranchent illégalement des conflits et imposent des amendes allant jusqu’à 100 000 FC (près de 100 USD) plus une chèvre pour la personne reconnue fautive. «Si tu t’es battu avec ta femme dans la maison et qu’ils sont au courant, ils t’arrêtent. Si tu as du bétail ou un peu de moyen, on te crée une infraction et ils t’envoient directement un mandat d’arrêt et tu payes», a témoigné un habitant qui a requis l’anonymat. Des barrières illégales sont aussi érigées sur certains axes pour obliger ceux qui passent avec du bétail à payer entre 500 Fc (0,5 USD) à 4 500 Francs congolais (5 USD), ajoute-t-il. «Les commerçants, par exemple, doivent payes 5 dollars pour chaque vache, chèvre ou porc», a poursuivi la même source qui a aussi déploré des tortures corporelles: «J’ai des traces sur mon corps, on m’a ligoté pendant 3 heures et on me battait très fort, on a battu également le président de la jeunesse ainsi que mon chef du village, nous avons été arrêtés pendant deux semaines au cachot».[23]

6. LE PROGRAMME DE DÉSARMEMENT ET DE RÉINSERTION (DDR)

Le 18 juin, le ministre de la Défense nationale, Crispin Atama Tabe, a donné le coup d’envoi officiel de l’évacuation des ex-combattants issus des groupes armés de l’Est de la RDC, cantonnés à la base militaire de Kamina (Haut-Lomami), vers leurs familles respectives. Cinquante-trois démobilisés, munis chacun de 100 dollars, sont partis à bord de l’Antonov 26 des FARDC à destination de Goma (Nord-Kivu). Les plus de 2200 autres ex-combattants restés, dont ceux issus de l’ex-M23, décrient leurs mauvaises conditions de vie.[24]

Les ex-combattants démobilisés venus de la base de Kamina (Haut-Lomami), se disent inquiets du manque de kits de réinsertion sociale [outils pour exercer les métiers appris dans le centre de cantonnement], promis après plus de deux ans de formation passés dans ce centre militaire. De son côté, le gouvernement assure que les kits sont prévus pour chaque ex-combattant démobilisé. Son porte-parole, Lambert Mende, affirme que ces matériels leurs seront remis dans leurs milieux de réinsertion, dans un avenir proche.[25]

Le 24 juin, à la base militaire de Kamina (Haut-Lomami), on a interrompu l’évacuation des ex-combattants issus des groupes armés de l’Est de la RDC, six jours après le lancement de cette opération. Du coté des autorités militaires jusqu’à présent aucune explication n’est donnée sur cette situation. Pour le ministre provincial de l’intérieur du Haut-Lomami, ce blocage est dû à un problème d’ordre logistique. Une fois résolu, l’opération va se poursuivre, a-t-il assuré. Selon les chiffres fournis par le ministre provincial de l’Intérieur, l’opération de l’évacuation des ex combattants démobilisés vers leurs milieux d’origine s’est déjà faite en quatre rotations, au cours desquelles 453 d’entre eux ont été ramenés au Nord-Kivu, Sud-Kivu et au Maniema.[26]

[1] Cf Radio Okapi, 05.07.’16

[2] Cf RFI, 06.07.’16

[3] Cf Radio Okapi, 25.06.’16

[4] Cf Radio Okapi, 02.07.’16

[5] Cf Radio Okapi, 08.07.’16

[6] Cf Radio Okapi, 15.07.’16

[7] Cf Radio Okapi, 19.07.’16; RFI, 19.07.’16

[8] Cf Cepadho – Bulletin d’Information du 23 Juillet 2016 ; AFP – Jeune Afrique, 24.07.’16

[9] Cf Radio Okapi, 26.07.’16

[10] Cf AFP – Africatime, 19.07.’16

[11] Cf RFI, 26.06.’16

[12] Cf RFI, 27.06.’16

[13] Cf RFI, 29.06.’16

[14] Cf AFP – Africatime, 19.07.’16

[15] Cf Radio Okapi, 21.07.’16

[16] Cf Radio Okapi, 23.07.’16

[17] Cf Xinhua, 03.06.’16

[18] Cf VOA, 02.06.’16

[19] Cf RFI, 03.06.’16

[20] Cf Politico.cd, 24.06.’16

[21] Cf Radio Okapi, 31.05.’16

[22] Cf Politico.cd, 29.06.’16

[23] Cf Radio Okapi, 21.05.’16

[24] Cf Radio Okapi, 19.06.’16

[25] Cf Radio Okapi, 22.06.’16

[26] Cf Radio Okapi, 24.06.’16

Congo Actualité n. 314

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SOMMAIRE

ÉDITORIAL: DERRIÈRE LE SIGLE ADF (ORCES DÉMOCRATIQUES ALLIÉES → INTÉRÊTS ET COMPLICITÉS ENCORE CACHÉES

  1. LES FORCES DÉMOCRATIQUES ALLIÉES (ADF)
    1. L’évolution des ADF sur le territoire congolais
    2. Le procès des « présumés ADF »
    3. «Vrais», «faux» et «présumés» ADF
    4. La menace djihadiste dans l’est de la RDC est une pure invention
    5. Les tuniques des musulmans aident à masquer la face rwandaise de l’occupation
  2. LE MOUVEMENT DU 23 MARS (M23)
    1. Une tentative d’infiltration sur le territoire congolais à partir de l’Ouganda
    2. Une nouvelle stratégie

 

ÉDITORIAL: DERRIÈRE LE SIGLE ADF (FORCES DÉMOCRATIQUES ALLIÉES) → INTÉRÊTS ET COMPLICITÉS ENCORE CACHÉES

 

 

 

1. LES FORCES DÉMOCRATIQUES ALLIÉES (ADF)

 

a. L’évolution des ADF sur le territoire congolais

 

Qui tue à Beni? Depuis 2014, massacres à l’arme blanche, décapitations, enlèvements, raids nocturnes ont fait plus de 1.000 morts autour de la ville de Beni. Dès la sortie de la ville on distingue des maisons vides, des champs abandonnés. C’est avec mépris, avec le sentiment que nul ne les protège, que les habitants voient passer les jeeps de la Monusco ou les convois de l’armée gouvernementale. De manière presque routinière, ces atrocités sont attribuées à un ennemi insaisissable, les ADF (Allied democratic Forces), présenté comme composé d’opposants ougandais réfugiés depuis plus de vingt ans en territoire congolais.

Arrivés au Congo vers la moitié des années 1990, les rebelles ougandais ADF, de confession musulmane, habitaient un quartier de Beni, appelé «Matonge», où ils vivaient sans problèmes avec la population locale et épousaient des femmes congolaises.

Au début des années 2000, alors qu’au Congo la guerre se poursuit, ils s’installent dans le parc des Virunga, où se trouvent déjà des groupes de réfugiés hutus rwandais qui vivent du commerce du charbon de bois. Selon Maître Kavota, «les relations des Ougandais avec les paysans congolais sont ambivalentes: dans certains cas, alors que l’ICCN (Institut congolais pour la protection de l’environnement) chasse les paysans qui veulent cultiver les terres du parc, les Ougandais placent ces derniers sous leur protection et achètent leur production agricole à bon prix. Dans d’autres cas ils les utilisent comme main d’œuvre forcée».

A leur principal «camp de base» installé dans la forêt, ils donnent des noms mythiques comme «Madina» ce qui signifie «Medine». Existent aussi les camps «Nadui», «Kabila», «KBG» et surtout «Canada». «Là, il s’agît d’une ruse», explique Me Kavota: «lorsqu’ils recrutent des jeunes Congolais, à Goma ou ailleurs, les islamistes promettent de les envoyer étudier au Canada. En réalité, le voyage se termine dans les forêts de la région de Beni où les recrues reçoivent un entraînement militaire et une formation idéologique… ».

Très vite, les rebelles ougandais deviennent autosuffisants: dans la vallée de la Semliki où ils s’installent, ils exploitent d’abondants gisements d’or et créent des comptoirs d’achat sur la frontière ougandaise, à Kasese et Bundibugyo, tandis que des raffineries s’installent à Kampala. Ils exploitent également le bois du Congo, qui sera ensuite estampillé bois ougandais. Ces ressources monétaires leur permettent de proposer aux cultivateurs de la région de Beni un meilleur prix pour leur production de café et de cacao, elle aussi exportée via l’Ouganda. Nouant des alliances avec des commerçants Nande, les rebelles ougandais interviennent même dans les circuits du commerce pétrolier: grâce au système de crédit musulman, l’hawala, fondé sur la confiance et la parole donnée, ils proposent du pétrole à crédit et en échange achètent du bois.

Réseaux économiques transfrontaliers et circuits mafieux se croisent ainsi jusqu’en 2010, assurant un développement spectaculaire aux villes de Beni et Butembo et renforçant le poids économique de la communauté Nande, dont l’influence s’étend jusque Kisangani en Province Orientale, Bukavu au Sud Kivu et Goma au Nord Kivu.

Mais en 2010, la situation évolue: Kinshasa veut s’assurer le contrôle des «bases» éparpillées dans les forêts du Nord Kivu, reprendre la maîtrise des circuits économiques et les opérations militaires se succèdent. Non seulement les rebelles renforcent la défense de leurs bastions, mais ils multiplient les recrues et surtout se trouvent des alliés auprès des Nande, avec lesquels ils ont noué des relations économiques et matrimoniales et surtout ils trouvent des complices au sein des forces armées congolaises. Quoi de plus facile? Les FARDC sont tout sauf homogènes: à la suite des accords de paix, elles ont subi le «brassage» puis le «mixage» et autres processus d’intégration en leurs rangs d’anciens rebelles, des hommes issus du RCD Goma (Tutsis pro rwandais), du RCD-MK de Mbusa Nyamwisi (Nande pro ougandais), du MLC de Jean Pierre Bemba et des anciens Mai Mai (groupes armés d’origine congolaise). D’anciens tueurs reçoivent du galon, des analphabètes se retrouvent à des postes de commandement, des ex rebelles gardent contact avec leurs camarades restés en forêt et «couvrent» les trafics divers dont ils partagent les bénéfices…

C’est en 2014 que la situation se gâte: après la victoire contre les rebelles tutsis pro rwandais du M23 chassés du pays, l’armée congolaise, au lieu de s’attaquer aux rebelles hutus FDLR (une priorité pour Kigali…) décide de passer à l’offensive contre les ADF et lance l’opération Sukola I.

Mais le 2 janvier, le très populaire colonel Mamadou Ndala, vainqueur de la guerre contre le M23, est tué dans une embuscade attribuée aux ADF, avec la complicité probable d’éléments de sa propre armée! Une sale guerre commence, que nul ne peut gagner: l’armée congolaise demeure faible et divisée, mais opérant suivant des schémas classiques et non des techniques de contre insurrection, elle frappe dur, bombarde les bastions installés dans les forêts et tente de prendre les ADF en étau.

Désireux d’obtenir un relâchement de la pression sur leurs bases, les ADF commencent alors à frapper dans la périphérie de Beni, afin d‘obliger l’armée à s’y redéployer, affaiblissant le front central. C’est alors que commencent les enlèvements et surtout les massacres à l’arme blanche qui créent la terreur et instaurent le doute au sein des populations qui ne se sentent pas protégées par leur armée.

La guerre est aussi psychologique: outre l’assassinat de Mamadou Ndala qui jettera le doute sur la loyauté de ses compagnons d’armes, des déclarations faites sur RFI par Mbusa Nyamwisi réfugié en Ouganda attribuent des massacres à l’armée gouvernementale! Un officier réputé proche du chef de l’Etat, le général Charles Akili Mundos est mis en cause. En brousse, dans des régions d’accès difficile, les camps de formation continuent à recruter, sur une base de militantisme religieux. S’y retrouvent de jeunes Congolais, mais aussi des Somaliens, Kényans, Ougandais, Tchadiens et Soudanais.[1]

 

b. Le procès des « présumés ADF »

 

En août 2016, on a entamé le procès des «présumés membres des ADF» (Allied democratic Front), un groupe armé considéré par le gouvernement congolais comme un groupe terroriste jihadiste.  Ce procès révèle aussi les complicités locales et l’ambiguïté de certains éléments de l’armée ou de politiciens de la place.

Les arrestations, souvent arbitraires, se sont multipliées. Imams, militaires, entrepreneurs, chefs traditionnels ou simples habitants croupissent dans les geôles de Beni et de Kinshasa, accusés de collusion avec les «djihadistes». Les musulmans, qui vivaient jusque-là en harmonie avec les chrétiens et les protestants, sont devenus des cibles. L’imam Moussa Angwandi a arrêté de compter les arrestations de ses coreligionnaires, que ce soit dans la rue ou dans les quatre-vingts mosquées de Beni et de ses environs. «Si on est vêtu de notre tenue traditionnelle, on se fait arrêter, persécuter, traiter de djihadiste. Mais ils les fantasment, leurs djihadistes», s’emporte le responsable des musulmans de la région.

Un des prévenus, «Okapi Shabani Hamadi», avoue qu’il a fréquenté assidument la mosquée de Katindo, à Goma, où on lui a parlé du jihad, des moudjahhidines, des groupes qui combattaient en brousse.

Le colonel Shabani Molisho, un ancien officier des forces armées congolaises, (issu des rangs du RCD-Goma, ce mouvement rebelle composé naguère de rebelles tutsis alliés du Rwanda…) et présenté comme «renseignant» est confronté au prévenu. Lui aussi connaît la mosquée de Katindo et l’imam Suleiman et il confirme que le contenu des prêches portait bien sur la guerre sainte, sur le recrutement de nouveaux adeptes et sur le soutien à apporter aux combattants cachés dans les forêts.

Selon le Général Major Mukuntu Kiyana Timothée, Ministère Public dans ce procès, en brousse et dans des régions d’accès difficile, les responsables des camps de formation continuent à recruter, sur une base de militantisme religieux, des jeunes Congolais, mais aussi des Somaliens, Kényans, Ougandais, Tchadiens et Soudanais.[2]

 

En ce qui concerne ces étrangers, il est difficile de penser qu’il s’agisse de «Foreign Fighters» (combattants étrangers) arrivés au Congo pour s’enrôler dans un djihad hypothétique en vue de la création  d’un califat dans la région des Grands Lacs d’Afrique. Il s’agit plutôt d’étrangers présents sur le sol congolais depuis plusieurs années, voire des décennies, pour des raisons politique, économiques ou professionnelles.

C’est le cas, par exemple de Moussa Bachran ou « Moussa Tchadien », un prévenu appelé à comparaitre devant le tribunal militaire de Beni dans le procès de « présumés ADF ». Il est le cousin de Hissène Habré, le dictateur tchadien qui, à la fin des années 80, entretenait les meilleures relations avec le président Mobutu. Après le renversement d’Hissène Habré en 1990, remplacé par son cousin Idriss Deby, une centaine de membres de sa garde personnelle furent accueillis au Zaïre où ils assurèrent la garde rapprochée du président Mobutu. «Lorsqu’à l’invitation du président Mobutu, Hissène Habré est venu dans ce qui était encore le Zaïre, moi je suis resté à Goma», explique Moussa. Par la suite, le Tchadien a pris femme dans la capitale du Nord Kivu et s’est lancé dans le commerce des minerais (or et pierres précieuses). Accusé d’avoir accueilli à son domicile et financé les études de jeunes musulmans qui devaient rejoindre les présumés-ADF à Beni, il a clamé son innocence, alors que ses avocats ont conditionné la poursuite de son audition à la restitution de ses biens, dérobés par les militaires de l’armé congolaise: deux jeeps, des diamants, de l’argent et des effets personnels.[3]

 

Ça pourrait être le cas du Colonel Kachanzu Nzama Hangi aussi, Officier Supérieur des FARDC affecté au département logistique (T4) des Opérations SUKOLA 1, poursuivi dans le procès sur les présumés ADF. Dans l’acte d’accusation du Ministère Public, le Colonel Kachanzu Hangi est formellement inculpé de participation à un mouvement insurrectionnel et de violation des consignes. Selon le Général Major Mukuntu Kiyana Timothée, Ministère Public dans ce procès, le Colonel Kachanzu est ougandais, militaire de l’UPDF (armée ougandaise) qui, par la magie de la réunification et du brassage de l’armée, s’est retrouvé au sein des FARDC. A l’époque de la rébellion du RCD-KML, Kachanzu a été pris pour le compte de l’UPDF comme Assistant instructeur des combattants de l’APC (Armée du Peuple Congolais).

Avec la réunification du pays, Kachanzu aura la chance de figurer sur la liste des militaires et Officiers du RCD-KML transmise au Gouvernement. Il bénéficiera ainsi, comme beaucoup d’autres, de la reconnaissance en grade par l’Ordonnance du Chef de l’Etat. Étant donné que l’armée congolaise doit assumer son histoire, le Ministère Public a rappelé qu’à ce titre, le prévenu est poursuivi comme Officier FARDC. Le Général Mukuntu a rappelé que, en rapport avec l’attaque de la localité d’Eringeti du 29 novembre 2015, le Rapport du Groupe d’Experts de l’ONU sur la RDC du 23 mai 2016 citait déjà le Colonel Kachanzu comme étant l’Officier FARDC ayant renseigné les ADF sur les positions FARDC ainsi que leur dotation/logistique, facilitant ainsi l’ennemi à opérer aisément. Une autre source du Ministère public c’est le Service de Renseignement Ougandais. Ce dernier avait alerté sur la présence en RDC d’un ravitailleur (en vivres, armes et munitions) des ADF, oeuvrant sous la couverture d’un Officier FARDC, le Colonel Kachanzu.[4]

 

Parmi les chefs coutumiers appelés à comparaître, il y a Mwami Désiré Boroso Bin Bendera II. Âgé de 48 ans, marié et père de 10 enfants, Mwami Boroso est le Chef de la localité de Baungatsu-Luna, résident à Eringeti, en Groupement Bambuba-Kisiki, Secteur de Beni-Mbau, au nord du Territoire de Beni et il est accusé d’être en lien avec les ADF. Le prévenu Kakule Baraka (ancien Joueur de football à Eringeti) a soutenu avoir surpris, en 2014, 12 combattants ADF à la résidence de Mwami Boroso. Ceux-ci venaient de loger chez-lui et s’apprêtaient à regagner la brousse après s’être visiblement ravitaillés. Pour tenter d’acheter son silence, Mwami Boroso aurait donné à Kakule Baraka 40$, le menaçant de mort au cas où il divulguerait le secret.

Un autre prévenu, Okabo Mabruki, a indiqué que Boroso ne pouvait en aucun cas nier ses liens avec l’ADF. La preuve, dit-il, au cours d’une perquisition de la Police faite à sa résidence en son temps, 12 jambières et des uniformes des combattants ADF avaient été retrouvées dans sa maison. Il aurait soudoyé la Police d’Oicha pour recouvrer sa liberté. Mwami Boroso a nié en bloc toutes les déclarations de Mabruki et a souhaité que l’OPJ de la Police, le Commissaire Papy, basé à Oicha, qui avait perquisitionné chez-lui comparaisse comme renseignant.

Un renseignant répondant au nom de Fatavizuri Moterne, ancien Commandant de la Police à Eringeti, a dit avoir acheté innocemment une moto d’un Taximan d’Eringeti. Il sera surpris d’être sommé quelques jours plus tard par les ADF, qu’au cas où il ne donne pas 600$ pour la moto lui vendue indûment, les ADF attaqueront Eringeti. Le message lui était reporté par Boroso et un jeune présenté par lui comme messager ADF. Il lui sera indiqué que la somme d’argent devait être remise à Boroso pour la faire parvenir aux ADF. A ce propos, Boroso dit avoir agit comme Chef de village et non comme collabo ADF. Il a soutenu que c’était pour épargner la vie des villageois qu’il s’est senti obligé de répondre à l’exigence des ADF. Et d’ajouter que même s’il avait pris l’argent du Commandant Fatavizuri Moterne tel qu’exigé par les ADF, il l’avait leur fait parvenir par un intermédiaire. Au regard de ce qui évolue aux différentes audiences de la Cour Militaire Opérationnelle à BENI, la question reste posée: «existerait-il des ADF sans complicité locale?».[5]

 

La cour militaire opérationnelle du Nord-Kivu a auditionné, le jeudi 16 février 2017, le maire de Beni, Nyonyi Bwabakawa, comme renseignant dans le procès des présumés rebelles ADF.

Un prévenu présumé ADF, Suleyman Amuli Banza, un musulman de nationalité congolaise accusé d’être membre de la rébellion des ADF, l’avait cité comme collaborateur de ce groupe armé, déclarant que M. Bwanakawa aurait pris contact avec un chef de la rébellion pour négocier la fin des massacres des civils à Beni. «Si nous voulons avoir la lumière au sujet de ceux qui tuent les gens, il va falloir qu’on se tourne vers l’honorable maire de Beni, Masumbuko Nyondi et le général Muhindo Akili Mundos, commandant de la 31e brigade de l’armée congolaise. Ce sont eux qui apportent l’appui aux rebelles ADF», avait-il déclaré lors de l’audience publique du vendredi 10 février dernier à la tribune du 08 mars à Beni.

Dans sa déposition, le maire de Beni a parlé d’un message téléphonique qu’il a reçu de la part des présumés ADF qui sollicitaient une négociation avec lui en brousse. Un rapport avait été fait à sa hiérarchie et aux services de sécurité, a-t-il déclaré. Le ministère public a, de son côté, assuré que Nyonyi Bwanakawa agissait dans le cadre d’une mission d’infiltration des présumés-ADF, avec qui il était en contact pour distinguer les «vrais» des «faux-ADF». C’est l’action du maire qui aurait ainsi permis l’arrestation de plusieurs éléments rebelles.[6]

 

c. «Vrais», «faux» et «présumés» ADF

 

Le sigle des Allied Democratic Forces (Forces Démocratiques alliées) se décline désormais en «vrais», «faux» et «présumés» ADF. «Les « vrais » ADF étaient polis et nous respectaient, ils venaient dans nos champs, achetaient nos poules, des vivres et nous aidaient même à faire nos travaux», se souvient un vieil agriculteur d’Eringeti, en ajoutant: «Ces tueurs d’aujourd’hui ne sont pas nos amis d’hier, je vous l’assure». En plein cœur du «triangle de la mort», dans cette localité du territoire de Beni dévastée par les enlèvements et les massacres, à 80 km au nord du centre-ville, on ne comprend plus rien. Comment ces miliciens, qui ont pour certains épousé des filles du pays, qui ont noué des alliances et collaboré étroitement avec les groupes politico-militaires de ces dernières décennies, auraient-ils pu se transformer en égorgeurs? Les femmes enceintes et les enfants ne sont plus épargnés par les tueurs. Ni les religieux ou les humanitaires.

«Les vrais ADF disent qu’ils ne sont pas seuls à égorger et que s’ils l’ont fait, c’est parce que la population les a dénoncés. Depuis le début des opérations militaires [en 2014], ils ont coupé tout contact avec les locaux», assure Jacques Paluku Matswime, un paysan de 49 ans.

En novembre 2016, Jacques Paluku Matswime a été kidnappé dans son champ. Il avait été contraint à servir de porteur, marchant des nuits entières dans la forêt avec des ADF ougandais, les «vrais», pense-t-il. L’otage les a vus s’entraîner, combattre, prier et débattre des différents courants de l’islam. Durant ces dix jours, il était ligoté pendant ses rares moments de repos. «Avant de me libérer», raconte-t-il, «ils m’ont demandé de transmettre des messages: dire à l’armée congolaise de ne plus attaquer leurs positions, dire à la Monusco de cesser les bombardements et la surveillance aérienne».

Le territoire de Beni est sans doute la zone la plus militarisée. Aux soldats congolais s’ajoutent les casques bleus de la Mission des Nations unies pour la stabilisation du Congo (Monusco).

Pas suffisant pour endiguer les massacres. L’ONU navigue à vue, faute de moyens techniques pour récolter des renseignements fiables. Les drones qu’utilise la Monusco se révèlent incapables de percer la canopée de la forêt tropicale. «Il nous faudrait une petite CIA locale ici», soupire un haut responsable de la Monusco, «car, au fond, on ne sait rien, ni sur les ADF, ni sur ces militaires qui collaborent avec eux, ni sur les autres massacreurs. Faute de preuves, on se contente de théories plus ou moins étayées». A Beni, on pourrait en effet compter les différentes thèses et théories sur les auteurs de ces atrocités. A chacun son équation. Parmi les inconnues, on retrouve l’accaparement des terres, des rivalités ethniques, de micro-conflits coutumiers et des batailles pour le contrôle du trafic de bois dans une région pauvre en minerais.

«L’étiquette ADF est devenue une sorte de franchise, la situation est extrêmement confuse. Plusieurs acteurs comme les FARDC [l’armée congolaise] et d’anciens membres de groupes armés locaux sont impliqués dans les violences. Mais on ne trouve pas de motifs évidents à ces massacres», explique l’ancien expert de l’ONU Jason Stearns.[7]

 

d. La menace djihadiste dans l’est de la RDC est une pure invention

 

Le chercheur Thierry Vircoulon déconstruit le mythe d’un mouvement djihadiste dans la région du Nord-Kivu, thèse «inventée» et exploitée par Kinshasa.

 

A l’est de la République Démocratique du Congo (RDC), dans la ville de Beni et ses environs, les massacres se sont poursuivis malgré la présence des casques bleus. Tout a démarré en 2010 avec des enlèvements qui se sont transformés en tueries quatre ans plus tard. Selon la société civile, plus de mille personnes ont perdu la vie, égorgées le plus souvent, parfois tuées par balles. A en croire Kinshasa, ces exactions sont commises par les combattants d’un mystérieux groupe armé ougandais d’obédience islamiste, les Forces Démocratiques Alliées (ADF), considérés comme des «djihadistes».

 

Question: Les autorités congolaises se disent en «guerre contre le terrorisme» à l’est du pays. Y a-t-il une véritable menace djihadiste dans cette partie de la RDC?

Thierry Vircoulon: C’est une menace inventée et exploitée par les autorités congolaises et ougandaises. Le prétendu visage de l’islamisme radical dans la province du Nord-Kivu, frontalière de l’Ouganda, ce sont les ADF. Or les ADF n’ont pas de prétentions ni de caractéristiques djihadistes. Les faits sont vrais: des tueries abominables commises sur le territoire de Beni. Mais leur interprétation, une implantation djihadiste au cœur de l’Afrique, est sujette à caution, voire tendancieuse.

  1. Ce que vous qualifiez d’«invention» s’inscrit-elle dans une stratégie politique de la part de Kinshasa sous pression de la communauté internationale?
  2. Cette rhétorique de Kinshasa a pour but de surfer sur la vague globale anti-terrorisme et d’essayer de s’attirer les bonnes grâces de puissances occidentales qui luttent contre le djihadisme. Et ce, dans l’espoir de provoquer des réactions de solidarité. L’islam radical est devenu un outil pratique pour les régimes dictatoriaux qui ont besoin de justifier leur répression interne et de s’attirer les bonnes grâces des puissances du Nord.

Il faut rappeler l’histoire de ce groupe armé, qui était composé de musulmans en lutte contre le régime ougandais et s’était réfugié à la frontière congolo-ougandaise au milieu des années 1990. A cette époque, il était bien vu des autorités zaïroises [Mobutu Sese Seko était encore au pouvoir]. Il s’était allié à un autre groupe de rebelles ougandais (les NALU) et fut un groupe armé comme les dizaines d’autres qui opéraient dans cette région pendant presque vingt ans. Et puis en 2013-2014, il y a eu un tournant et les ADF ont commencé à cibler les populations de manière répétée.

Les massacres qui ont lieu sur le territoire de Beni, dont la responsabilité est systématiquement attribuée aux ADF, ne sont jamais revendiqués et restent inexpliqués. Les ADF demeurent quasiment invisibles. Ils ne communiquent pas, ne font pas de propagande sur Internet et sont absents de la «djihadosphère». Alors que les autres groupes djihadistes en Afrique et ailleurs utilisent la violence dans leur quête de notoriété et d’influence à la fois dans et hors du mouvement djihadiste. La violence religieuse est la base de la propagande djihadiste, ce qui n’est pas du tout le cas avec les ADF.

  1. Quid de la doctrine religieuse des ADF?
  2. Si c’est du salafisme, c’est une version tout de même très tropicalisée. Il y a des vidéos où l’on voit des membres des ADF danser! Sur ces vidéos, les hommes ressemblent plus à des maï-maï [groupe d’autodéfense] qu’à des djihadistes, tant dans l’accoutrement que dans l’attitude.

Leur islamisme est finalement très discret. Ils n’arborent pas les symboles du djihad et ne semblent pas être dans une logique de défenseurs de la «vraie foie musulmane» face à des «apostats». Ils ne prétendent pas vouloir créer un califat dans la région des Grands-Lacs, ne ciblent pas particulièrement l’armée congolaise, ni des chefs religieux… Autant d’indices qui laissent à penser qu’ils sont finalement assez superficiellement islamisés.

  1. Et pourtant, à ses débuts, leur ancien chef, Jamil Mukulu, un Ougandais chrétien converti à l’Islam, a été influencé par des mouvements islamistes radicaux…
  2. Jamil Mukulu a effectivement embrassé l’islam de la secte tabligh. Il avait aussi noué des liens avec le Soudan d’Omar Al-Bachir et son éminence grise d’alors, Hassan Al-Tourabi. Puis les autorités ougandaises ont accusé les ADF d’être alliées à Al-Qaida, ont accusé Jamil Mukulu de s’être entraîné dans des camps au Pakistan. Enfin, selon Kampala et Kinshasa, ils auraient établi des contacts avec les djihadistes somaliens d’Al-Chabab. Mais aucune preuve n’est venue étayer ces affirmations. Seules des relations entre l’un des fils de Jamil Mukulu et des organisations musulmanes radicales kényanes ont été découvertes au moment de son arrestation. Les ADF restent mystérieux et taiseux. L’arrestation de Jamil Mukulu en Tanzanie en 2015 n’a rien changé.
  3. Comment expliquez-vous qu’un groupe armé ougandais ayant vécu des décennies en harmonie avec la population locale en RDC sombre dans l’ultra-violence en 2014 et multiplie les massacres?
  4. Ce changement de comportement est l’un des mystères des ADF. Ils ne sont pas dans une logique de recrutement de croyants en vue de l’expansion d’un califat en Afrique mais dans une logique de sanctuarisation territoriale. On peut observer de leur part une stratégie de sanctuarisation de certaines zones du territoire de Beni qu’ils ont interdit d’accès aux villageois. Leur discours était simple: «Si vous passez là, on vous tue». Ce qu’ils ont fait. Il y a une vingtaine de groupes armés toujours actifs dans la région des Kivu. Les ADF se singularisent des autres mouvements armés par leur absence de contact avec les organisations internationales. C’est par exemple le seul groupe armé de l’Est congolais qui n’a pas de relation avec la Croix-Rouge internationale. C’est pourquoi on s’interroge toujours sur la motivation précise de cette sanctuarisation. Eux revendiquent ces terres, en affirmant qu’elles leur ont été données par Mobutu Sese Seko qui les avait accueillis dans les années 1990, mais ce n’est pas une explication suffisante.
  5. Les habitants parlent de «vrais et faux ADF», soupçonnent la «main noire de Kinshasa», vilipendent la Mission de l’ONU en RDC (Monusco) accusée de collusion avec les «massacreurs». Quelle lecture faites-vous des dynamiques qui poussent aux massacres?
  6. La situation n’est pas seulement opaque. Elle est volontairement opacifiée. Ce qui est assez classique à l’est de la RDC, où les conflictualités sont anciennes, se renouvellent mais restent peu ou prou les mêmes depuis plusieurs décennies.

Depuis plus de vingt ans, l’est de la RDC est une zone grise où il y a un entrelacs de conflits dont les enjeux sont les territoires et leurs ressources, auxquels se superposent des réseaux de trafics régionaux et internationaux. A cela s’ajoutent des implications importantes de Kinshasa, car cette multitude de conflits locaux peut être instrumentalisée à des fins politiques à l’échelle nationale.

Les ADF continuent d’exister grâce à des complicités, probablement des deux côtés de la frontière RDC-Ouganda. Ce groupe armé remplit sans doute une fonction utile pour des acteurs politiques, dont certains peuvent ainsi bénéficier de trafics frontaliers illégaux. La situation, comme les acteurs impliqués demeurent très nébuleux.

Plusieurs indices pointent des officiers supérieurs de l’armée congolaise qui ont servi dans la zone. Et un réseau clientéliste pourrait impliquer certains hommes politiques et hommes d’affaires.

D’après les sources locales, les violences ne seraient pas seulement le fait des ADF historiques, mais aussi d’autres groupes armés, voire de ce que les habitants désignent par l’expression «ADF FARDC» [Forces armées de la RDC]. Récemment, devant la cour militaire opérationnelle, des militaires congolais ont été mis en cause.[8]

 

En effet, le comportement de l’armée congolaise face à la vague de tueries de Beni est éminemment suspect. Aussi bien les parlementaires congolais que le Bureau des Droits de l’homme des Nations Unies en RDCongo mettent en doute la version officielle de la responsabilité des ADF dans plusieurs massacres et pointe des responsabilités au sein de l’armée congolaise. Dès novembre 2014, la commission parlementaire envoyée pour enquêter sur les massacres  dans la région de Beni souligna que le plan de protection des civils élaboré par le Général Champion de la Monusco n’a pas fonctionné. Plus troublant encore, certains officiers congolais auraient interdit à leurs hommes de porter secours aux populations durant les massacres ou auraient sciemment attendu plusieurs heures après les massacres pour envoyer des secours. En 2014 et 2015, les régiments 808, 809, 905 et 1.006 auraient été impliqués dans les massacres de Tenambo-Mamiki, de Ngadi et de Mayangose.

Alors que les ADF sont une priorité de sécurité, le manque de réactivité de l’armé congolaise se répète lors du massacre d’août 2016. Une fois encore, le réseau d’alerte précoce mis en place par les Nations Unies n’a pas fonctionné. Des témoignages au sein de la Société Civile indiquent que des officiers de l’armée congolaise auraient intimé l’ordre aux relais civils de ce système d’alerte précoce de ne pas l’utiliser en cas d’attaque. Ces témoignages mettent aussi en évidence des complicités entre les ADF et certaines unités de l’armée congolaise à tel point que la Société civile locale parle des « ADF – FARDC ». À ce titre, il convient de rappeler que le meurtre du « héros » de la lutte contre le M23, le colonel Mamadou  Ndala, en janvier 2014, est considéré comme un règlement de comptes entre militaires congolais maquillé en embuscade des ADF. Le mystère des ADF semble s’inscrire dans la longue tradition de complicité et d’instrumentalisation des groupes armés dans l’est de la RDCongo par le commandement de l’armée congolaise.

Si le gouvernement congolais et la Monusco continuent d’imputer aux seuls ADF la responsabilité des massacres de la région de Beni et de décrire ce mouvement comme  un groupe de fanatiques islamistes ougandais, cette lecture est de plus en plus contestée. Dès 2012, l’International Crisis Group insistait sur la « congolisation » des combattants ADF, remettait en cause l’existence d’une coopération directe avec les Shebaab et soulignait que « le gouvernement ougandais instrumentalisait la menace terroriste à des fins intérieurs et extérieurs ».  Au début 2016, le groupe d’Études sur le Congo de l’université de New York estimait qu’outre les ADF,  des membres de groupes armés locaux (notamment d’anciens du Rassemblement Congolais pour la Démocratie – Kisangani / Mouvement de Libération et d’anciens membres du CNDP / M23) et des FARDC portaient une part très importante de responsabilité dans ces tueries. À ces voix dissonantes s’ajoute celle des autorités locales. En effet, selon le maire de Beni, Bwanakawa Nyonyi, les massacres sont le fait d’une « nébuleuse » derrière laquelle se cachent « des mains politiques congolaises », une opinion partagée par de nombreuses organisations locales de la Société civile.[9]

 

e. Les tuniques des musulmans aident à masquer la face rwandaise de l’occupation

 

La thèse de la responsabilité des ADF dans les massacres ne convainc pas à Béni. «Nous ne pouvons pas affirmer ou infirmer que les ADF sont responsables de ces crimes», affirme, prudent, le directeur de la Commission Justice et Paix de Butembo-Beni. Mais il ajoute, aussitôt: «Beaucoup affirment que c’est le gouvernement et les populations rwandaises qui sont les commanditaires de ces crimes pour balkaniser la région». C’était le point de vue du religieux assomptionniste Vincent Machozi, assassiné dans la nuit du 20 mars 2016. Peu de temps avant d’être tué, il avait accusé sur son site Internet Beni-Lubero, le président Joseph Kabila et le président rwandais Paul Kagame d’être les commanditaires des massacres. Selon lui, ils instaureraient un climat de terreur afin de pousser la population à quitter leurs terres, une zone dont le sous-sol est riche en coltan. Dans son dernier message avant d’être assassiné, le P. Machozi écrivait: «Les tuniques des musulmans aident la diversion qui tend à masquer la face rwandaise de l’occupation pour faire avancer la thèse de l’islamisme El-Shebab ou Boko Haram qui n’a jamais réussi à convaincre un seul Congolais tellement la face du Rwanda est visible partout».[10]

 

Cette opinion semble être aussi celle de Richard Kalule, chef de quartier à Rwangoma, à 5 kilomètres du centre ville de Beni. Le 13 août 2013, alors qu’il rentrait de ses champs en compagnie d’autres paysans, il a été subitement intercepté. Voici ce qu’il dit: «vêtus de tenues militaires kaki ou « tâche tâche » comme celles de l’armée congolaise, des assaillants se sont jetés sur nous. Dans leur groupe, il y avait aussi des femmes et des enfants, tous étaient dotés de haches, de machettes, de bâtons. Ils nous ont jetés au sol, ligotés et ont commencé à nous tuer avec méthode. Moi, j’ai été blessé, laissé pour mort, deux femmes ont été violées puis abattues».

Le groupe des assaillants semblait être venu à pied de Rushuru, une localité située sur la lisière sud du parc des Virunga, et il est reparti le même soir, laissant 40 cadavres dont certains avaient eu la tête fendue à coups de hache. Appelés sur les lieux, quatre policiers militaires ont tiré sur cette foule, mais ils n’ont fait que des blessés qui réussirent à s’enfuir.

  1. Kakule assure que parmi les assaillants, outre les tenues militaires, certains portaient de «grandes chemises» et arboraient de «longues barbes» comme les Musulmans. La plupart s’exprimaient en swahili, mais M. Kakule se targue d’avoir discerné des Rwandais parmi eux car, dit-il, «ils mélangeaient les R et les L, c’est typique des Rwandais».

Depuis lors, Zaituni Vangu, laissée veuve avec six enfants, dont la maison a été incendiée, n’ose plus aller aux champs. Pas plus que Marcelline Kafutu qui a perdu sa mère et sa sœur lors de cette attaque, ni Mme Paluku, 68 ans, frappée de coups de hache dans la hanche. Lucides, ces femmes s’interrogent: «ces gens qui ont tué les nôtres, étaient dotés de machettes neuves, visiblement passées à la meuleuse pour pouvoir mieux trancher. Ils semblaient être en opération et nous ont dit en partant «nous reviendrons, car cette terre nous a été donnée du temps de Mobutu». A première vue, tant par la langue utilisée que par les méthodes (blessures à l’arme blanche, tueries en groupe…) ces assaillants ressemblent plutôt à des Hutus rwandais descendus sur Beni depuis le Parc des Virunga où ils campent depuis vingt ans et qui convoitent les riches terres des alentours de Beni.[11]

 

 

2. LE MOUVEMENT DU 23 MARS (M23)

 

a. Une tentative d’infiltration sur le territoire congolais à partir de l’Ouganda

 

Le 18 février, Erique Gasana, ancien lieutenant de l’armée congolaise et combattant de l’ex-groupe armé Mouvement du 23 mars (M23), s’est rendu aux Forces armées de la RDC (FARDC) et il a affirmé que l’un des chefs de ce mouvement, Sultani Makenga, et un groupe de combattants sont actuellement présents dans le territoire de Rutshuru, au Nord-Kivu. Selon son récit, un groupe de combattants a été préparé pour s’attaquer aux gardes du parc pour récupérer leurs armes.

A en croire Erique Gasana, les combattants de l’ex-M23 sont pour la plupart armés de Kalachinkov et seraient commandés par le colonel déchu Joseph Mboneza. Au sujet de Sultani Makenga, ex-chef militaire du M23, il affirme qu’il est actuellement dans la réserve des gorilles de Sarambwe à Rutshuru, aux pieds des collines Sabinyo et Mikeno, à la frontière ougandaise. Il serait en compagnie d’une centaine de combattants recrutés à partir du camp militaire de Bihanga, en Ouganda. Toujours selon Erique Gasana, au moins soixante-neuf combattants de l’ex-rébellion du M23 sont signalés depuis le week-end dernier dans la région de Tongo, dans le territoire de Rutshuru.

D’après certains responsables militaires du Nord-Kivu, une dizaine de combattants recrutés par l’ex-mouvement rebelle sont actuellement détenus à l’Etat-major de Goma.

Le M23 est un ancien mouvement rebelle qui a occupé plusieurs territoires du Nord-Kivu entre 2012 et 2013 avant d’être défait par l’armée congolaise et la MONUSCO. La rébellion avait annoncé sa dissolution. De nombreux combattants ont trouvé refuge au Rwanda et en Ouganda.[12]

 

Le 20 février, des combats ont opposé le matin des présumés combattants de l’ancienne rébellion du M23 aux forces armées congolaises à Matebe, six kilomètres à l’Est de Rutshuru-centre, chef-lieu du territoire du même nom. Selon certaines sources, les affrontements ont duré presqu’une heure (de 8h30 à 9h25) et les FARDC ont repoussé les assaillants.[13]

 

Le 22 février, après d’intenses combats, les forces armées de la RDC (FARDC) ont réussi à déloger les combattants M23 de plusieurs collines qu’ils occupaient dans le groupement Busanza, en territoire de Rutshuru (Nord-Kivu), après avoir été repoussés de Matebe.

«Nous nous sommes battus sur des collines durant toute la journée. II s’agit de la colline Songa, Kafumbiza, Botimbo, Rutezo et Kirambo. Dans la soirée précisément autour de 18 heures, les combattants M23 ont fui en Ouganda. Au total, 73 combattants ont traversé la frontière, nous en avons tué 16 et capturé 4», a dit un officier FARDC engagé au front, en ajoutant que la situation est pour le moment « sous contrôle de l’armée » qui procède au ratissage dans certains endroits où l’on a annoncé la présence de quelques éléments de l’ex-M23 dans les groupements Jomba et Busanza.

Depuis Kampala, Bertrand Bisimwa le président du Mouvement du 23 mars a publié un communiqué dans lequel il accuse les Forces armées de la RDC (FARDC) d’avoir utilisé la force contre «des ex-combattants M23 désarmés qui retournent dans leur pays, sans aucune intention de faire la guerre». Toujours selon le communiqué, «le choix du gouvernement d’imposer la guerre aux ex-combattants M23 retournés au pays, les contraignant ainsi à se défendre, constitue un signal négatif envoyé à leurs collègues restés dans les centres de cantonnement en Ouganda et au Rwanda, car ils comprendraient qu’ils ne sont pas les bienvenus dans leur propre pays».[14]

 

Le 27 février, le coordonnateur du Centre d’étude pour la promotion de la paix, la démocratie et les droits de l’homme (CEPADHO), Omar Kavota, a demandé au chef de l’Etat congolais d’exiger que l’ONU, l’Union africaine, la CIRGL et la SADC prennent des mesures contraignantes contre l’Ouganda et le Rwanda qui, selon lui, déstabilisent la paix et la sécurité de la RDC à travers le M23. Il a déploré le fait que Kampala et Kigali continuent de servir de bases arrières aux rebelles de l’ex-M23. D’ailleurs, poursuit le coordonnateur du CEPADHO, certains rebelles de l’ex-M23 capturés n’hésitent pas à déclarer ouvertement recevoir des armes et munitions de la part de l’Ouganda et du Rwanda.[15]

 

Le 1er mars, le général Léon Mushale, commandant de la 3ème zone de défense, a déclaré que, depuis le début des opérations menées contre le M23 depuis le 27 janvier dernier, les FARDC ont tué vingt rebelles du M23 et capturé vingt-cinq autres, dont quinze Rwandais et dix Congolais. Certains parmi eux se sont rendus, indique la même source. Du côté des FARDC, le général Mushale avance un bilan d’un mort, six blessés et deux hélicoptères écrasés.[16]

 

b. Une nouvelle stratégie

 

Selon certains sources, les M23 déjà infiltrés en Territoire de Rutshuru tentent de rallier les May-May Nyatura (Hutu congolais) à leur cause. Le prétexte présenté pour les séduire c’est de faire front commun pour libérer les Hutu contre les May-May qui les persécutent. Ces M23 veulent ainsi s’attirer l’allégeance des Hutu en simulant leur libération.

Par ailleurs, les ex-M23 auraient réussi à acquérir à leur solde le redoutable Bwambale Kakolele, seigneur de guerre originaire du Grand-Nord. Cela afin que ce dernier obtienne l’allégeance des Nande de Beni-Lubero à leur conspiration, en leur faisant croire qu’ils viennent les libérer contre les égorgeurs ADF.

Et pour faciliter la tâche à Kakolele, la milice Corps du Christ a été montée de toute pièce. Elle a été appelée May-May afin de mériter l’adhésion des Nande. Pourtant, cette dernière devra faire jonction avec les M23 en provenance de l’Ouganda et de Rutshuru.

D’autres informations révèlent que les May-May NDC Rénovés de Guidon (Hunde et Nyanga) auraient déjà mordu à l’hameçon des M23. Depuis peu, les M23 les utilisent avec certains May-May Mazembe (Nande) pour opérer des tueries contre les Hutu et déconcerter les FARDC par des attaques intempestives.

La plupart de combattants May-May ne savent pas aussi que c’est en vue de préparer la route au M23 qu’ils sont utilisés dans des attaques et des enlèvements de nature à susciter des tensions ethniques. En réalité, les M23 voudraient obtenir le désespoir et la colère des Hutu et des Nande pour légitimer leur guerre en se présentant en libérateurs pour les uns ou les autres, et afin d’obtenir le ralliement des groupes armés actifs dans la région: les Nyatura, les May-May, …

Certaines indiscrétions ont indiqué que les M23 ont réussi à infiltrer les Forces Démocratiques pour la Libération du Rwanda (FDLR). Ils seraient à la base de la dissidence constatée dernièrement au sein des FDLR/FOCA, de quoi vient de naître la nouvelle branche FDLR/CNRD (Conseil National pour le Renouveau et la Démocratie).[17]

[1] Cf Le Carnet de Colette Braeckman – Le Soir, 23.02.’17  Les longues racines de l’implantation musulmane au Nord Kivu

[2] Cf Joan Tilouine – Le Monde Afrique, 01.03.’17; Le Carnet de Colette Braeckman – Le Soir, 27.02.’17

[3] Cf Le Carnet de Colette Braeckman – Le Soir, 27.02.’17; Dunia Kongo Media (DKM), 17.02.’17

[4] Cf Bulletin d’Information-CEPADHO du 28 Février 2017

[5] Cf Bulletin d’Information-CEPADHO du 25 Février 2017

[6] Cf Radio Moto Oicha, 18.02.’17; Dunia Kongo Media, 17.02.’17

[7] Cf Joan Tilouine – Le Monde Afrique, 01.03.’17  http://www.lemonde.fr/afrique/article/2017/03/01/mathematique-macabre-a-l-est-du-congo_5087469_3212.html

[8] Cf Joan Tilouine – Le Monde, 06.03.’17  http://www.lemonde.fr/afrique/article/2017/03/06/la-menace-djihadiste-a-l-est-de-la-rdc-est-une-pure-invention_5090023_3212.html

[9] Cf T. Vircoulon et J. Battory, « L’islam radical en République Démocratique du Congo. Entre mythe et manipulation », Notes de l’Ifri, Ifri, Février 2017.

Texte complet: https://www.ifri.org/sites/default/files/atoms/files/vircoulon_battory_islam_radical_rdc_2017.pdf

[10] Cf Laurent Larcher – La Crois, 13.03.’17  http://www.la-croix.com/Monde/Afrique/Massacres-a-Beni-la-fausse-piste-djihadiste-2017-03-12-1200831246

[11] Cf Le Carnet de Colette Braeckman – Le Soir, 27.02.’17  Les civils de Beni s’interrogent toujours sur leurs assaillants

[12] Cf Radio Okapi, 21.02.’17

[13] Cf Patrick Maki – Actualité.cd, 20.02.’17

[14] Cf Patrick Maki – Actualité.cd, 22.02.’17; Radio Okapi, 23.02.’17; AFP – Africatime, 23.02.’17

[15] Cf Radio Okapi, 27.02.’17

[16] Cf Radio Okapi, 01.03.’17; Patrick Maki – Actualité.cd, 01.03.’17

[17] Cf Bulletin d’Information et d’Analyse-CEPADHO du 20 Février 2017

Derrière le sigle ADF → intérêts et complicités encore cachées

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Editorial Congo Actualité n.314 Par le Réseau Paix pour Le Congo

 

Depuis le début du mois d’octobre 2014, la population du territoire de Beni (Nord-Kivu – République Démocratique du Congo) est victime d’une série d’enlèvements et de massacres qui ont coûté la vie de plus d’un millier de personnes.

Le gouvernement congolais attribue ces violences à un groupe de rebelles ougandais d’inspiration islamique, les Forces Démocratiques Alliées (ADF), présentées comme un groupe terroriste djihadiste. Toujours selon le gouvernement, les ADF seraient en contact avec d’autres groupes jihadistes, comme Al-Shabaab de Somalie et Boko Haram du Nigeria. Ce point de vue serait confirmé par la présence, au sein des ADF, d’Ougandais, de Somaliens, de Kenyans, de Tchadiens et de Soudanais. Mais la thèse djihadiste soutenue par le gouvernement ne convainque personne. Il pourrait s’agir d’une simple stratégie du gouvernement pour s’attirer la sympathie de la Communauté internationale qui, elle aussi, est «victime» d’une certaine forme de terrorisme international.

 

La menace djihadiste dans l’est de la RDC est une pure invention

 

Les massacres commis dans la région de Beni, systématiquement attribués aux ADF, ne sont jamais revendiqués et restent inexpliqués. Les ADF demeurent quasiment invisibles. Ils ne communiquent pas, ne font pas de propagande sur Internet et sont absents de la «djihadosphère». Alors que les autres groupes djihadistes en Afrique et ailleurs utilisent la violence dans leur quête de notoriété et d’influence à la fois dans et hors du mouvement djihadiste. Leur islamisme est finalement très discret. Ils n’arborent pas les symboles du djihad et ne semblent pas être dans une logique de défenseurs de la «vraie foie musulmane» face à des «apostats».

Ils ne sont pas dans une logique de recrutement de croyants en vue de l’expansion d’un califat dans la région des Grands Lacs d’Afrique, mais dans une logique de sanctuarisation (installation) territoriale. Ils ont adopté une stratégie d’installation dans certaines zones du territoire de Beni où la population locale ne peut plus accéder. En ce qui concerne les présumés membres étrangers, il est difficile de penser qu’il s’agisse de «Foreign Fighters» (combattants étrangers) débarqués au Congo pour s’enrôler dans une djihad hypothétique. Il s’agit plutôt d’étrangers déjà présents sur le sol congolais depuis plusieurs années, voire des décennies, pour des raisons politiques, économiques ou professionnelles.

 

Les tuniques des musulmans aident à masquer la face rwandaise de l’occupation

 

Selon une autre théorie, les vrais responsables de ces crimes seraient le même gouvernement congolais et des populations d’origine rwandaise, avec l’objectif de balkaniser la région. C’était le point de vue du Père Vincent Machozi, religieux assomptionniste assassiné dans la nuit du 20 mars 2016. Peu de temps avant sa mort, sur son site Beni-Lubero, il avait accusé le président congolais Joseph Kabila et le président rwandais Paul Kagame d’être les instigateurs de ces massacres. Selon lui, les deux présidents instaureraient un climat de terreur pour forcer la population locale à quitter ses terres, riches en bois et en minéraux, pour y installer une nouvelle population venant du Rwanda. Dans son dernier message avant son assassinat, le père Machozi avait écrit: «les tuniques musulmanes aident à créer la confusion pour cacher le visage rwandais de l’occupation, déjà trop visible aux yeux de tout le monde».

 

L’étiquette ADF est devenue une sorte de franchise

 

Selon une troisième hypothèse, parmi les causes des violences de Beni, on retrouve l’accaparement des terres, des batailles pour le contrôle du trafic du bois et des minéraux, des micro-conflits entre chefs coutumiers et des rivalités ethniques. L’étiquette ADF est devenue une sorte de franchise. La situation n’est pas seulement opaque. Elle est volontairement opacifiée. Ce qui est assez classique à l’est de la RDC, où les conflictualités sont anciennes, se renouvellent mais restent peu ou prou les mêmes depuis plusieurs décennies. Depuis plus de vingt ans, l’est de la RDC est une zone grise où il y a un entrelacs de conflits dont les enjeux sont les territoires et leurs ressources (bois, minerais et pétrole), auxquels se superposent des réseaux de trafics régionaux et internationaux. Des commerçants, des politiciens, des officiers militaires, des chefs de groupes armés locaux et étrangers, des chefs traditionnels de village, des responsables de l’administration locale sont impliqués dans cette affaire: tout le monde en profite, sauf la population qui en paie le prix avec ses morts.

 

Un petit signe d’espoir

 

C’est depuis le mois de novembre 2016 que, à Beni, on observe une sorte de trêve: bien qu’il y ait encore des assassinats dans quelques villages, au moins il n’y a plus de massacres de masse. Les nombreuses dénonciations de la société civile locale, les rapports des organisations internationales de défense des droits de l’homme, la pression de la communauté internationale, la restructuration du commandement militaire local et le début, en octobre 2016, du procès contre les présumé les membres de l’ADF sont autant d’éléments qui pourraient avoir contribué à cette accalmie.

Congo Actualité n. 387

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CONTRE LES GROUPES ARMÉS DANS L’EST DE LA RD CONGO

SOMMAIRE

1. VERS DES OPERATIONS MILITAIRES CONJOINTES AVEC DES TROUPES RWANDAISES, OUGANDAISES ET BURUNDAISES?
2. RAPPROCHEMENT MILITAIRE RDC, RWANDA, BURUNDI ET OUGANDA: UNE ALLIANCE QUI EFFRAIE

1. VERS DES OPERATIONS MILITAIRES CONJOINTES AVEC DES TROUPES RWANDAISES, OUGANDAISES ET BURUNDAISES?

Le 15 octobre, les ministres des Affaires Etrangères des Pays membres  de la Conférence Internationale sur la Région des Grands Lacs (CIRGL) se sont retrouvés à Brazzaville pour échanger sur la question de l’insécurité dans la région des Grands Lacs. Les dirigeants des États de la sous-région se sont dits déterminés à trouver une solution au problème de l’insécurité qui empêche le développement de leurs pays respectifs.
Cette réunion s’est achevée sur une note d’espoir, a déclaré Jean-Claude Gakosso. Le ministre des Affaires étrangères du Congo-Brazzaville qui accueillait ses collègues de la sous-région, a mis l’accent sur les efforts du président Félix Tshisekedi pour imposer la paix en RDC: «Il a été en Ouganda et au Rwanda; donc il y a un nouvel état d’esprit dans la sous-région qu’il faut consolider». Selon lui, Félix Tshisekedi a ainsi fait preuve de «sa volonté de dialoguer avec tous les voisins de l’Est, puisque c’est de là que viennent la plupart des problèmes en RDC».
De son côté, Guillaume Manjolo, le ministre d’Etat à la Coopération de la République Démocratique du Congo, a parlé de l’implication des pays dont sont originaires les groupes armés étrangers en RDC: « On a tenté de responsabiliser les pays d’où sont originaires ces groupes armés étrangers et, pour ce qui concerne ceux de la RDC, il y a un travail fait au niveau des forces armées congolaises».[1]

Un certain document signé par le chef d’état-major congolais, le général Célestin Mbala, laisse entrevoir l’organisation d’une future riposte contre les groupes étrangers et congolais et le lancement d’opérations conjointes avec les Pays voisins de l’Est.
Le document a été largement diffusé sur les réseaux sociaux. Bien qu’il soit difficile d’établir son authenticité, il semble toutefois qu’il n’a pas été démenti, ni par les autorités politiques congolaises, ni par les autorités militaires. Selon des sources proches de l’état-major de l’armée congolaise, « ce n’est qu’un document de travail ».
Le plan opérationnel est accompagné d’une lettre adressée au chef d’état-major du Burundi. Le général Célestin Mbala invite son homologue à une réunion qui doit se tenir les 24 et 25 octobre à Goma. Une première réunion s’était tenue les 13 et 14 septembre derniers. Les états-majors de la RDC, du Rwanda, du Burundi et de l’Ouganda avaient convenu de travailler ensemble pour l’éradication des groupes armés, étrangers comme congolais.
Ce document présente la composition du futur état-major intégré. Les armées burundaise, rwandaise et ougandaise pourraient y avoir des délégués; l’Africom et la Monusco, qui ont déjà des observateurs dans les réunions de Goma, également.
Les cibles de ce futur état-major intégré se trouvent aussi bien au Nord qu’au Sud-Kivu. Il s’agit des groupes armés étrangers, ADF, FDLR, Red Tabara, ou congolais comme les Nyatura et le NDC Renové. L’Ouganda, le Rwanda et le Burundi pourraient aussi fournir des forces spéciales. Une nouvelle qui provoque déjà un émoi dans l’est du pays, tant ces armées ont occupé les deux Kivus ou sont régulièrement accusées d’y mener des incursions.
Ce document précise aussi qu’Africom et la Monusco pourraient apporter leur soutien à ces opérations. Une source onusienne précise que, du côté de la Monusco, cela pourrait s’avérer difficile. Un diplomate occidental explique que certains pays posent leurs conditions.[2]

Le 16 octobre, la porte-parole de la Mission onusienne pour la stabilité au Congo (Monusco), Florence Marchal, a déclaré que la Monusco n’envisageait aucun soutien à une éventuelle coalition des armées régionales. Ce, en réaction à l’éventualité d’une constitution d’une force interarmée impliquant notamment le Rwanda, le Burundi, l’Ouganda et la RDC: «Notre mandat ne nous le permet pas, c’est un mandat avec la priorité des protections des populations civiles qui passent par un soutien aux FARDC. Ce qui exclut un soutien en une coalition régionale. Notre plus grande préoccupation, c’est de protéger les populations civiles, si il faut le faire pour une coalition régionale, ça ne dépendra pas de nous, c’est le conseil de sécurité qui doit nous mandater à ce sujet».[3]

2. RAPPROCHEMENT MILITAIRE RDC, RWANDA, BURUNDI ET OUGANDA: UNE ALLIANCE QUI EFFRAIE

Pour venir à bout de différents groupes armés qui écument sa partie Est, la RDC a décidé de se rapprocher des armées de l’Ouganda, du Rwanda et du Burundi. C’est le plus officiellement du monde que les armées de ces trois pays pourraient traverser prochainement les frontières de la RDC, pour prêter main forte aux Forces armées de la RDC. Compte tenu du passé mouvementé de ce coin de la République, l’initiative fait peur, le scepticisme gagne du terrain.
Au commencement de la déstabilisation de la partie Est de la RDC était l’afflux massif des réfugiés hutus rwandais fuyant l’avancée de l’Armée Patriotique Rwandaise (APR) après le génocide et tout ce qui s’en est suivi en 1994.
Cette année-là, des civils et militaires, évoluant autrefois sous l’armée de feu le président Habyarimana, ont traversé la frontière de la RDC. Certains réfugiés rwandais, hantés par le spectre de la vengeance envers le nouveau pouvoir en place à Kigali, se sont regroupés en forces de défense, sous la dénomination de FDLR (Forces démocratiques pour la libération du Rwanda).
Vue de Kigali, la réorganisation des réfugiés rwandais en bandes armées de l’autre côté de la frontière était perçue d’un mauvais œil. En 1996, une coalition militaire présentée sous forme d’une rébellion congolaise, l’Alliance des forces démocratiques de libération (AFDL), est créée avec la bénédiction du Rwanda, de l’Ouganda et du Burundi. Moins d’une année plus tard, soit en mai 1997, les troupes de l’AFDL réalisent leur entrée triomphale à Kinshasa.
Depuis cette traversée de l’armée rwandaise, la partie Est de la RDC est plongée dans une spirale infernale de violence et d’insécurité. Depuis 1996, plusieurs rébellions créées et appuyées par le régime rwandais (AFDL, RCD, CNDP, M23) se sont multipliées dans l’Est de la RD Congo, sans compter les groupes Maï-Maï dits d’autodéfense, qui forment un vrai cocktail Molotov. Il ne faut pas non plus oublier les rebelles rwandais des FDLR qui restent toujours actifs dans les coins isolés de l’Est.
Il faut rappeler qu’une opération armée conjointe rwando-congolaise au Nord-Kivu contre les Forces démocratiques de libération du Rwanda (FDLR) s’était déroulée entre le 20 janvier et le 27 février 2009. Cette opération secrète du nom de code « Umoja Wetu » (notre unité) avait été négociée par le président congolais Joseph Kabila et son homologue rwandais, Paul Kagame à partir de l’Ouganda.
Dans cette occasion, plusieurs milliers de soldats rwandais firent leur entrée dans l’est de la RD Congo, mais on ignore encore combien d’entre eux étaient effectivement rentrés dans leur pays à la fin de l’opération. Selon plusieurs observateurs, ceux qui étaient rentrés au Rwanda étaient certainement moins que ceux qui étaient entrés auparavant en RD Congo.
Alors président de l’Assemblée Nationale et actuellement directeur du cabinet du Président de la République, Vital Kamerhe exprima publiquement son opposition et critiqua le fait qu’une entrée au Congo de l’ex-armée ennemie n’ait pas été discutée au Parlement. A l’instigation de l’entourage de Joseph Kabila, le 26 mars 2009, Vital Kamerhe fut obligé à démissionner.
Dans sa détermination à ramener la paix dans l’Est, l’actuel président de la République Félix Tshisekedi entend impliquer toute la sous-région, notamment les pays tels que le Rwanda, l’Ouganda et le Burundi.
Mais, dans l’opinion, la stratégie choisie par le chef de l’Etat passe difficilement, compte tenu du passé troublé qu’a connu la RDC par le fait de la forte mainmise du Rwanda, de l’Ouganda et du Burundi dans la situation d’instabilité permanente de l’Est. Le peuple congolais n’est pas non plus prêt à oublier les millions de ses compatriotes tués de manière souvent atroce depuis le déclenchement de la guerre, dite de libération menée par les troupes de l’AFDL, avec le soutien logistique du Rwanda, de l’Ouganda et du Burundi.
Curieusement, c’est auprès de ces mêmes bourreaux que s’est tourné le chef de l’Etat pour panser les plaies qu’ils ont créées il y a plus de 20 ans. A l’instar du président de l’Asadho, Jean-Claude Katende, l’opinion se pose bien des questions: «Est-ce que le gouvernement congolais a tenu compte du passé de ces troupes rwandaises, burundaises et ougandaises en République démocratique du Congo? Est-ce que le gouvernement congolais a tenu compte de l’opinion des Congolais, particulièrement ceux de l’Est, sur le retour des troupes des pays voisins qui ont causé des morts et pillé les ressources naturelles de la RD Congo pendant plusieurs années? Est-ce que l’Assemblée nationale et le Sénat sont-ils informés de l’accord sur la mise en place de la coalition avec les Etats voisins dont les armées viendront aider le Congo à mettre fin aux groupes armés?».
Tout compte fait, cette décision de faire appel aux troupes rwandaises, ougandaises et burundaises pour neutraliser les groupes armés dans l’Est, ferait douter, mieux, ferait peur. Le président de l’Asadho justifie cette peur de la plus belle des manières. Il écrit à ce propos que «le retour des troupes, en République démocratique du Congo, des pays qui ont toujours l’ambition d’avoir la mainmise sur les ressources naturelles de notre pays n’est pas une bonne chose». Kinshasa ferait mieux de reconsidérer sa position. Avant qu’il ne soit trop tard.[4]

[1] Cf RFI, 16.10.’19
[2] Cf RFI, 15.10.’19
[3] Cf Ivan kasongo – Actualité.cd, 16.10.’19
[4] Cf Le Potentiel – Kinshasa, 17.10.’19


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